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Quand le soleil s'éteint

5. Douai, Nord
Musique : Come with me now – Kongos

 

 

Deux heures pour parcourir un pauvre petit kilomètre. D’ordinaire, la situation exaspérerait Déborah, mais la présence de ce prestigieux passager qui vit la même galère compense largement le temps perdu dans les embouteillages.

La jeune femme n’en revient pas de la chance qu’elle a. Samuel Hugo n’est pas réputé pour apparaître en public en dépit des nombreuses demandes qu’on lui adresse ; l’association n’en a d’ailleurs pas cru ses yeux quand il a accepté leur invitation. Il a expliqué à Déborah qu’il ne venait qu’aux petites manifestations telles que celle-ci et qu’il évite les plus grosses comme la peste. Et voilà qu’il se retrouve dans sa voiture !

Après une attente interminable sans bouger, l’écho d’une sirène de police se fait entendre au loin. Déborah aperçoit la lumière des gyrophares dans le rétroviseur, puis une incroyable cavalerie de véhicules les dépasse par la bande d’arrêt d’urgence. Une demi-heure plus tard, la file de voitures devant eux se met en branle. Tout doucement, mais au moins ils parviennent à avancer.

— Enfin, quelqu’un fait la circulation, soupire Déborah. Pas trop tôt.

Pour autant, elle ne se sent pas très optimiste : l’autoroute demeure embouteillée dans un sens comme dans l’autre.

— Je vais sortir par là, indique-t-elle à Samuel. Ce sera sans doute plus simple pour repartir à Douai.

— Je vous fais confiance.

— Pas sûre que ce soit un bon plan.

Samuel s’esclaffe, ce qui lui arrache un sourire.

Il lui faut bien un quart d’heure pour réussir à s’extirper de la colonne de voitures et emprunter la sortie qui se présente à elle. Mais ils quittent une nasse pour une autre : la route départementale qu’elle voulait prendre s’avère elle aussi complètement bouchée.

— J’ai bien peur qu’on y passe la nuit, déplore-t-elle.

Déborah rallume la radio en espérant tomber sur l’état du trafic dans la région. Deux animateurs commentent la situation avec un brin de nervosité.

— Il est 22 h, fait remarquer Samuel. Le couvre-feu est de mise.

— Le mémo n’a pas circulé, visiblement.

Elle observe la longue cohorte de voitures, une véritable guirlande de Noël qui sinue dans le lointain, illuminant la nuit. Pourquoi n’a-t-elle pas écouté la petite voix qui lui disait de rester à Douai ?

Ça suffit, Deb. Tu sais très bien pourquoi tu ne l’as pas écoutée. Tu ne voulais pas que quelqu’un d’autre le ramène à ta place.

— On devrait s’arrêter, non ? hasarde-t-elle. Il y a un McDo pas trop loin, il est peut-être encore ouvert.

— À mon avis, on y arrivera plus vite en marchant.

Déborah hésite. De nombreux véhicules sont garés le long de la route, dans l’herbe, abandonnés par leurs propriétaires. Et si on lui volait sa voiture ? Et si la fourrière l’embarquait ?

— D’accord, décide-t-elle à contrecœur. Advienne que pourra.

La manœuvre s’avère délicate. S’extirper de la circulation, éviter de toucher ses voisins de devant et de derrière, s’engager sur le talus… La Clio, bien que secouée dans tous les sens, ne bronche pas. Déborah vérifie qu’elle s’est mise suffisamment à l’écart de la chaussée, puis coupe le contact en se demandant dans quelle galère ils se sont embarqués.

— Je ne m’attendais pas à finir le week-end de cette manière, sourit Samuel.

Au même moment, son téléphone émet une sonnerie, et un bref soulagement s’affiche sur son visage.

— Au moins, le réseau a quelques soubresauts, ajoute-t-il.

— Des nouvelles de votre amie ?

— Oui, elle va bien. Elle se trouve chez des amis. J’essaierai d’appeler tout à l’heure.

Ils quittent ensuite la voiture après avoir récupéré leurs sacs. Déborah vérifie trois fois que tout est bien verrouillé, peu ravie de laisser son carrosse seul dans la nature. Elle n’aurait pas les moyens d’effectuer des réparations si quelqu’un venait à la cambrioler.

— C’est de l’autre côté, indique-t-elle.

Elle se sent vulnérable si près de la route. À découvert. Mais au moins, ils ne courent aucun danger à traverser : les deux sens de circulation sont à l’arrêt. Ils se faufilent entre les voitures, puis arpentent une petite zone boisée étonnamment silencieuse, où Déborah manque deux fois de trébucher sur le sol inégal. Crapahuter dans la terre n’est vraiment pas son truc.

— J’avoue que je préfère la ville et les rues bien planes, renchérit Samuel. De toute façon, je n’ai jamais vécu à la campagne.

— C’est drôle, je pensais que c’était tout le contraire.

En fin de compte, Samuel finit par glisser et tomber dans l’herbe.

— Qu’est-ce que je disais, lâche-t-il. Ces conneries ne sont plus de mon âge.

Un fou rire nerveux s’empare d’eux alors que Déborah l’aide à se relever, lui tendant la main. Puis, après un bon quart d’heure de marche, ils parviennent à la zone commerciale établie autour d’un rond-point, lui aussi embouteillé.

— Regardez, il y a des militaires partout.

Samuel lui montre les soldats en uniforme postés sur le carrefour afin de faire la circulation ; au bout de la route, l’on aperçoit ce qui ressemble à un barrage filtrant formé par des camions. Plusieurs voitures de police au gyrophare allumé les secondent, forçant ceux qui tentent de passer à faire demi-tour. Les piétons qui en reviennent arborent tous un air dépité.

— Impossible de continuer par là, marmonne Déborah. Je ne comprends pas du tout ce qu’ils sont en train de fabriquer.

— Ils empêchent les gens de se rendre à Lille.

— Mais on est loin de Lille…

Encore une fois, Samuel semble en connaître un rayon sur le Somm. Il a parlé d’un nouveau départ de l’épidémie dans le Nord, mais la nouvelle n’avait pas tourné tant que ça dans les médias quand il l’évoquait un peu plus tôt. À cette occasion, il a expliqué à Déborah que la maladie existait réellement, qu’un premier foyer s’est déclaré à Paris mais qu’on l’a cru sous contrôle, qu’on ignore tout ou presque de ses caractéristiques, de son origine ou de son mode de transmission.

— Comment pouvez-vous savoir tout ça ? l’interroge-t-elle.

— On va dire que je connais des gens qui connaissent des gens.

— Ils vous tiennent au courant, là, n’est-ce pas ?

Déborah fixe Samuel en fronçant les sourcils, ce qui le force à admettre :

— Je reçois des infos, oui.

Déborah renonce à lui en demander plus. Il ne répondrait pas, de toute façon. Un rien déçue, elle se détourne vers la route et remarque :

— Le McDo est fermé, j’aurais dû m’en douter… Que fait-on ? Je n’ai vraiment pas envie de passer la nuit dans la voiture… et l’idée de rester dehors me fait un peu flipper.

— J’avoue que ça ne m’enchante pas non plus.

Samuel désigne alors l’hôtel qui se trouve à proximité, un petit bâtiment blanc planqué derrière des arbres près du rond-point. Les lumières sont allumées, le parking rempli.

— C’est le seul truc du coin qui a l’air ouvert, dit Déborah. Allons voir.

Une drôle d’agitation règne dans le hall de l’hôtel quand ils y entrent. L’endroit s’avère cosy, avec un parquet fait de bois pâle, de grandes baies vitrées, un mobilier sombre ; pour l’heure, l’accueil demeure occupé par une bonne cinquantaine de personnes qui se serrent comme elles le peuvent, certaines assises par terre. Des naufragés de la route, songe Déborah, qui ont fait comme eux et ont trouvé refuge là où ils l’ont pu. La nervosité qui s’élève de ces gens l’inquiète. Une véritable cocotte-minute qui menace d’exploser à tout moment.

Une dame d’un certain âge, peut-être la propriétaire de l’établissement, vient à leur rencontre. Elle paraît épuisée et sur les nerfs elle aussi, débordée.

— Il n’y a plus aucune chambre de libre, les prévient-elle sans s’embarrasser de politesse. Vous pouvez rester en bas si vous voulez, nous sommes en train de faire de la place dans le restaurant.

Tout en fermant les lourds rideaux du hall, elle montre une vaste salle située au fond du bâtiment, là où le personnel s’active à bouger les tables et les chaises.

— Décidez-vous vite, ajoute-t-elle. On verrouille les portes à 23 h. Plus personne n’entre ni ne sort jusqu’à 7 h demain matin.

— Pourquoi ? s’enquiert Samuel.

— Ordre des militaires. Ils réquisitionnent l’hôtel pendant le couvre-feu. Si vous avez besoin de quelque chose, faites signe. Sinon, ne traînez pas dans le passage.

La femme les plante là sans rien ajouter, disparaissant dans la foule. Déborah n’en croit pas ses oreilles.

— Ils ont le droit de faire ça ? s’étonne-t-elle.

— Cas de force majeure, je suppose. Vous voulez rester ?

— Je n’en sais rien. Et vous ?

Samuel hausse les épaules.

— Ça me paraît plus prudent. On a signalé deux cas à Lille mais pas en dehors… Pas pour le moment en tout cas. Je ne pense pas qu’on risque quoi que ce soit ici. Si on repart, la police ou les militaires pourraient bien nous arrêter et nous embarquer.

— Oui, pas faux.

À ce moment-là, un homme en costume noir annonce que la salle du restaurant est ouverte et qu’ils peuvent désormais s’y installer. Déborah et Samuel suivent alors le mouvement de foule, ces inconnus effrayés qui se lèvent en commentant la situation. La peur envahit discrètement l’établissement, comme de la fumée. Rester là et ne pas savoir pendant que les heures s’écoulent dans la crainte d’une catastrophe… Déborah les entend, les questions que ces gens se posent. Que se passe-t-il réellement ? Pourquoi envoyer l’armée ? Est-ce que cela a un rapport avec le SRAS qui aurait débuté à Paris ? La jeune femme réalise que personne n’est au courant de rien, qu’elle fait désormais partie des rares à connaître le secret. Que savoir n’est pas la position la plus confortable, aussi. Devraient-ils leur révéler la vérité ?

Déborah joue des coudes et se fraie un passage près de la grande fenêtre qui donne sur les champs derrière l’hôtel. Elle s’y installe d’autorité, laissant tomber son sac et retirant sa veste avant de s’asseoir à même le sol. Samuel l’imite.

— De mieux en mieux, ce week-end, sourit-il en s’adossant à la vitre.

— Oui, on sait recevoir, par ici.

L’idée de devoir passer la nuit confinée dans un resto au bord de la route déprime Déborah. Elle ne va jamais réussir à trouver le sommeil… Puis elle songe à sa mère, et se dit qu’elle devrait peut-être la prévenir qu’elle ne rentrera pas. Quand elle s’empare de son téléphone, elle y découvre plusieurs messages inquiets.

— Ma mère est en panique, sourit-elle.

— Je suis désolé, c’est un peu à cause de moi si vous êtes coincée ici…

— Ne soyez pas désolé. Je passe quand même la nuit avec un de mes auteurs préférés, là.

Samuel rit encore, avec cette désinvolture qu’elle a déjà remarquée, comme si le couvre-feu et la présence des militaires dehors n’avaient aucune importance.

— Vous devez penser que je vous drague, ajoute-t-elle alors, un rien gênée. Ce n’est pas le cas. Je suis juste contente de rencontrer une personne qui compte à mes yeux, de partager un moment particulier avec vous.

— Je ne crois pas que vous me draguez, si ça peut vous rassurer. Je comprends ce que vous ressentez.

— Oui, bien sûr… Vous devez en croiser des tas, des gens comme moi. Des fans qui ont l’impression d’avoir un lien particulier avec vous, qui s’imaginent que vous avez écrit vos livres rien que pour eux.

— Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire.

Il soupire, à croire que le sujet lui est pénible. Déborah songe qu’elle devrait arrêter de parler et le laisser tranquille, mais avant qu’elle puisse prononcer un mot, il poursuit :

— Il n’y a rien qui me touche plus qu’un lecteur qui s’imagine détenir un lien particulier avec mes bouquins. C’est vrai, l’on m’a dit plusieurs fois que mes livres pouvaient changer une vie, et j’en suis heureux, mais je ne pense pas posséder ce pouvoir-là. On me prend pour une sorte de star… sauf que je ne suis plus cette personne.

Samuel s’interrompt, puis il s’esclaffe.

— Je ne l’ai jamais été, d’ailleurs, ajoute-t-il. Je déteste ça. Vous voyez, hier soir j’ai dîné avec d’autres auteurs dans un restaurant comme celui-ci… Et pourtant, je préfère être là avec vous.

Déborah hausse les sourcils au fil de ces mots, surprise d’une telle confession. Étrangement, son embarras s’envole, parce que tout lui paraît désormais plus simple. Il n’y a plus de masque à revêtir, pas de faux-semblant… Sabrina l’avait mise en garde, pourtant : parfois, les écrivains qu’ils invitent au festival se prennent pour des gens importants, et se conduisent comme tels. La présidente partait du principe qu’il fallait aussi les considérer comme tels également. Voilà pourquoi Déborah les trouve différents depuis toujours, comme s’il s’agissait d’une autre caste, des êtres possédant une magie qu’elle-même ne possédait pas. Il a suffi d’une seule entrevue avec le tout premier auteur qu’elle accompagne pour faire voler en éclats ses illusions.

— Quel mensonge, dites-moi, ironise-t-elle avec emphase. Les écrivains sont en réalité des gens comme les autres. Je suis déçue.

— Ne le répétez pas.

Elle termine de rédiger le message destiné à sa mère, puis l’envoie en espérant qu’il arrive à destination ; le réseau semble faiblard, encore. Samuel est lui aussi plongé dans son téléphone pour prévenir ses proches, si bien qu’elle se perd dans la contemplation de la nuit à travers la fenêtre. Tout est si calme… La baie vitrée offre une vue imprenable sur un petit jardin bordé d’arbres et une infinité de champs au loin, un paysage à peine perturbé par les lumières des phares sur la route. De temps à autre, on entend un crissement de pneu ou un coup de klaxon qui surnagent dans le bruit des conversations.

Près d’eux, dans le restaurant, leurs compagnons de galère semblent s’être enfin apaisés : ils discutent avec calme et un rien de nervosité, les uns ayant pris place sur les chaises poussées contre le mur, les autres directement par terre. Déborah compte une dizaine d’enfants, la plupart déjà assoupis dans les bras de leurs parents.

Une vibration dans sa main. Sa mère lui répond, l’enjoignant à rester prudente et à lui donner de ses nouvelles. Après avoir lu le message, la jeune femme éteint son mobile afin d’économiser la batterie.

— Votre mère est rassurée ? s’enquiert Samuel, qui lève le nez de son propre téléphone.

— Oui. Je crois qu’elle ne sait pas exactement ce qui se passe, et c’est tant mieux. Et vous ?

— Je n’ai plus de mère à calmer depuis longtemps. Ni de père, d’ailleurs.

— De la famille, quand même ?

— … D’une certaine manière.

Encore une fois, le ton évasif qu’il emploie dissuade Déborah d’en demander plus. Quelques minutes de silence s’écoulent, apaisantes. Puis elle dit, sans trop savoir pourquoi :

— Il m’a fallu longtemps avant de saisir pourquoi je me sentais si petite. J’ai compris le jour où je suis venue pour la première au festival. À l’époque, j’avais vingt ans, c’était la première édition, j’avais adoré. Pourtant, quand je suis rentrée chez moi, j’ai remisé dans un carton les cahiers dans lesquels j’écrivais des histoires. Je n’ai plus écrit une seule ligne depuis ce jour.

Elle n’avait jamais raconté cela à qui que ce soit. Personne ne sait. Gardant les yeux baissés sur ses mains, Déborah se risque à regarder son interlocuteur, qui se contente de l’écouter avec intérêt. Avec compassion, aussi. Elle reprend :

— J’admirais tellement les écrivains que je n’osais pas faire comme eux. Il y avait cette aura, quelque chose qui venait d’ailleurs… Avec le temps, j’ai eu la confirmation que certaines de ces personnes se sentaient réellement supérieures parce qu’elles écrivaient, mais je croyais qu’il s’agissait d’un don et que cela les plaçait au-dessus des autres. Maintenant, je me rends compte que ce sont surtout des gens imbus d’eux-mêmes, que la société met sur un piédestal. Je les ai admirés, jalousés, vénérés… alors que peu d’entre eux le méritent vraiment. Sans vouloir vous vexer.

Mais le large sourire de Samuel lui montre que ça ne le vexe pas du tout, au contraire.

— Je l’ai compris il y a peu de temps, confirme-t-il. J’ai pris le chemin inverse : j’ai rêvé d’être comme eux. Je désespérais d’être comme eux, même. Je me suis battu pour faire partie de leur cercle… mais c’est un leurre. Une illusion. On ne fait jamais partie du club parce qu’il y a toujours quelque chose qui vous discrédite à leurs yeux.

— Pour vous, c’était d’avoir auto-édité certains de vos livres ?

— Ça, et d’autres choses. Ils n’acceptent pas qu’on puisse refuser de jouer le jeu. Devenir une personne médiatique, être présent sur les réseaux sociaux, devoir à tout prix parler avec son lectorat… Je suis juste un type qui aime raconter des histoires, rien de plus. Manifestement, cela ne suffit pas à faire partie du club.

— Pourquoi avoir publié un second roman, alors ?

Il rit comme s’il s’agissait d’une blague.

— Le Sidhe était un pari, explique-t-il.

— Et vous avez gagné ?

— J’ai gagné… et j’ai perdu. J’ai gagné parce que la personne contre laquelle j’ai joué ne m’en pensait pas capable, et j’ai perdu ma tranquillité. Encore une fois.

— Avouez, vous aimez ça malgré tout.

— Ah, ça… Joker.

Au tour de Samuel d’hésiter, comme s’il redoutait de commettre un impair en posant sa question à Déborah. Cela ne déplaît pas à la jeune femme, que les rôles s’inversent.

— Maintenant que je vous ai raconté tout ça, allez-vous vous remettre à écrire ? s’enquiert-il.

Elle ne s’y attendait pas.

— Je ne sais pas, admet-elle. La flamme s’est peut-être définitivement éteinte, après tout.

— Je suis la preuve vivante que ce n’est pas vrai. Et je pense que…

Une détonation l’interrompt.

Un bruit sourd et lointain, suivi d’une onde de choc qui fait vibrer la vitre contre laquelle ils sont appuyés. L’espace d’un instant, Déborah craint que le verre ne rompe. Elle bondit sur ses pieds et recule.

Au même instant, la salle dans son entier plonge dans le noir. Coupure d’électricité.

Des cris, maintenant. Des interrogations. Tout le monde se lève, s’éloigne des fenêtres ; ces dernières tiennent malgré tout. Bousculade.

— Qu’est-ce que c’était ?

— Une explosion ?

— Il faut qu’on parte !

Les réfugiés quittent le restaurant dans la précipitation pour s’abriter dans les couloirs de l’hôtel à la lumière des téléphones. Les quelques rares personnes à être restées dans la salle demeurent hébétées.

— La quarantaine, le couvre-feu, et maintenant ça ! commente un homme près de Déborah.

Il s’éloigne à son tour. Au loin, l’on entend quelqu’un demander à ce que chacun garde son calme. Un enfant pleure.

Samuel, lui, se rapproche de la fenêtre afin de récupérer son sac et celui de Déborah. Puis il lève la tête vers l’extérieur et se fige. La jeune femme l’imite, n’en croyant pas ses yeux.

Une étrange lumière rouge éclaire les nuages au-dessus des arbres. Mouvante, changeante, elle colore la nuit tel un phare, comme si le soleil déjà éteint se relevait alors qu’il ne devrait pas. Un incendie.

— Qu’est-ce qui se passe ? demande quelqu’un derrière eux.

Déborah sent ses entrailles se glacer. Le cauchemar n’en finit pas.