Apprendre à se déprofessionnaliser

Et me voilà de nouveau en train de réinstaller mon blog (qui en fait n’a jamais disparu puisqu’il suffit d’avoir la bonne URL pour y accéder), encore une fois titillée par l’envie de bloguer. Ça ne me quitte pas depuis des années : ça et l’envie de tenir un journal intime, ce que j’ai maintes fois essayé et abandonné. Pour le journal intime, j’ai compris que je n’y arriverais pas (je dépose déjà suffisamment de mots issus de mon univers intérieur dans des romans, je ne suis pas sûre d’avoir besoin d’un autre support pour l’introspection), mais pour le blog…

Noooon, je n’ai pas encore lâché. Je ne désespère pas. Et mon processus de « déprofessionnalisation » m’aidera peut-être.

 

Pourquoi écrire

Pour tout dire, je n’ai jamais compris d’où venait ce besoin qu’on a tous (ou presque) de s’exprimer ainsi, que ce soit sur les internets ou ailleurs. J’ai littéralement passé trois ans à chercher la réponse à la question « pourquoi j’écris ?« , et je ne suis pas encore sûre de l’avoir trouvée, même si je touche peut-être du doigt un début de solution, mais assez récemment, j’avais lu quelque part (ne me demandez pas où) que nos blogs étaient nos traces persistantes dans un Internet de plus en plus branlant, et j’aime bien cette idée.

Les écrits restent, comme on dit. Les blogs et les sites personnels aussi, puisque certains d’entre eux sont toujours là, endormis depuis des années mais toujours lisibles, et peut-être que leurs propriétaires les ont oubliés, et oui, j’aime cette idée de ces écrits déposés là comme des pages de journal intime que le vent n’aurait pas emportées. Ça prouve qu’on a été là — ou qu’on y est toujours. « Résiste, prouve que tu existes » (de rien, c’est cadeau).

Ceci étant posé, je me suis aussi demandé ce que j’allais raconter sur ce blog. Et j’en étais arrivée à la conclusion que je voulais bloguer pour bloguer, et ça… eh bien, ça m’apparaissait un peu vain.

 

Vendre à tout prix

Dans le cadre de mon activité d’autrice, j’avais déjà deux canaux de communication principaux : mon compte Instagram et ma newsletter. Le compte Insta sert à « attirer » de potentiels futurs lecteurs à l’aide de posts futiles un peu vides de sens, en mode « regardez je vous matraque avec la promo de mon livre sans en avoir l’air, voici ma vie d’autrice inspirée qui fait semblant de kiffer de ne pas compter ses heures pour gagner 150 balles par mois« . C’est chiant, c’est dur, c’est le jeu. Quant à la newsletter, elle est là pour offrir un lien plus privilégié avec les (potentiels) lecteurs plus engagés, ceux qui sont OK de recevoir un email de ma part chaque semaine/mois et qui sont plus susceptibles d’acheter mon bouquin quand il sort.

La newsletter, jusqu’ici, tenait le rôle de journal créatif que mon blog remplissait autrefois. Donc, de façon logique, j’ai privilégié la newsletter (qui a un meilleur taux de conversion qu’un blog, eh oui, je n’écrivais pas mes mails juste pour faire coucou aux gens) et j’ai laissé tomber le blog parce que ça faisait doublon, et je ne me voyais pas me creuser encore plus la tête pour trouver du contenu supplémentaire pour un canal que presque personne ne lit et qui ne rapporte plus rien, même en termes de référencement.

Avec le temps, chaque décision concernant la com était longue à prendre. Chaque nouvelle idée ou nouvelle envie doit être pesée avant d’être adoptée, parce que le temps, parce que la fatigue, parce que le retour sur investissement. Je m’en suis rendu compte en essayant plusieurs fois de m’investir sur Mastodon par exemple, parce que j’avais envie de retrouver les vibes sympas de Twitter à la grande époque, mais c’était une perte de temps : mon lectorat ne se trouve pas sur Mastodon. Donc exit Mastodon. Et ainsi de suite.

Aujourd’hui, alors que je n’écris plus à plein temps ( = alors que mes livres ne sont plus ma source de revenus principale), je réalise que j’ai tout géré ainsi, en fonction du temps que ça me prendrait et du retour que cela m’apporterait. D’une certaine manière, ce n’est pas plus mal car je ne me suis pas éparpillée dans tous les sens. J’aurais pu tenir une chaîne Youtube (nope), un compte Thread (j’ai essayé, c’était l’enfer), un compte TikTok (j’ai essayé aussi, de façon très mécanique, et si ça ne m’a pas déplu, c’était trop chronophage) et dix mille autres trucs « où il faut absolument être présent », et ça, au moins, je suis contente de ne pas être tombée dans le piège.

Le revers de la médaille, c’est que tout ce que je fais sur les internets est calculé, pesé, réfléchi pour être efficace, partageable, viral.

Il y a peu d’instantanéité. Il y a de l’authenticité mais juste pour dire qu’on est authentique. De la sincérité un peu maquillée, où l’on retire au dernier moment les passages les plus négatifs, ou alors en les amoindrissant pour ne pas montrer qu’on galère, qu’on n’est pas quelqu’un qui a la gagne et qu’on rumine toujours les mêmes sujets, les mêmes échecs, les mêmes reproches, les mêmes difficultés. Il n’y a rien qui soit gratuit, juste pour le fun. Rien que je ne lise et relise et rerelise avant de cliquer sur « envoyer », avec ce qu’il faut de storytelling, d’émotion et de call to action. Il m’a fallu des plombes avant d’arrêter de poster cette fameuse dernière image de carrousel, celle qui dit « mon livre est dispo sur les plateformes de vente » ou « abonnez-vous ».

C’était un peu la même chose avec la newsletter, avec en bonus la cascade de désabonnements survenue après mon annonce de changement d’activité. Soudain, j’ai découvert que les choses avaient changé depuis que j’avais lancé l’Oniropostale en 2021, quand je pouvais déblatérer sur mes stats d’écriture, les déconvenues d’Instagram ou mon système d’organisation sur Notion sans que personne ne moufte. Aujourd’hui, et ce depuis un ou deux ans, je constate des désabonnements très réguliers dès lors que je parle d’un tel sujet, sujets qui pourtant ont toujours fait partie des intérêts évoqués dans ma newsletter. 

(je pense que c’est à cause de Substack. Mon passage sur la plateforme en 2024 et 2025 était une erreur : un certain nombre d’abonnés issus de cette plateforme ne faisaient pas partie de mon audience habituelle, et Substack m’a poussée à changer ma manière d’écrire. Substack a, de toute façon, tué les newsletters telles qu’on les connaissait autrefois).

Ce qui fait qu’aujourd’hui, j’ai beaucoup de mal à trouver ma ligne édito et mon équilibre en tant qu’autrice qui communique sur les réseaux, en particulier sur la newsletter. Je cherche à « déprofessionnaliser » ma com : parler sans chercher à vendre ou à convaincre à tout prix, kiffer le fait de partager mes trucs avec plaisir et discuter avec des gens qui me connaissent ou non. Et c’est très compliqué, car les réflexes acquis ces trois dernières s’accrochent, sans compter que c’est ce que veulent les réseaux sociaux. Et, par extension, les gens qui naviguent sur Internet, qu’il en soient conscients ou non.

Une image toujours plus impeccable, des posts toujours plus efficaces et percutants, de la réflexion pré-mâchée.

 

Et le blog, dans tout ça ?

C’est là qu’intervient mon blog. Le rouvrir me permettra peut-être de dépasser ces blocages qui me pourrissent un peu la vie, puisque je passe mon temps à me dire : « tu ne postes pas assez, les gens vont t’oublier, tes livres ne se vendront pas« , etc.

Un peu plus haut, je disais que je galérais avec ma newsletter parce que je ne me sens plus autorisée à y parler des sujets qui m’intéressent vraiment (au temps pour l’authenticité). Et si je parlais de ces sujets sur mon blog ? Et si je reprenais enfin cette idée du journal créatif que j’ai envie de tenir depuis si longtemps, et de le mettre en ligne, sur mon site perso ? Puisque l’objectif n’est que de laisser une trace, peu importe que cela me rapporte des vues, des ventes, des likes ; puisque j’ai envie de poser mes réflexions sur des sujets qui m’intéressent moi et peut-être deux ou trois personnes, autant que ça se fasse ici, en longues tartines que peu de gens liront, mais qui les intéresseront vraiment.

J’ai envie de voir mon blog, et mon site de façon plus générale, comme une archive personnelle. Jusqu’ici, c’était ma vitrine en tant qu’autrice, avec des liens vers les points de vente, des appels à s’abonner à la newsletter et des phrases joliment tournées pour donner envie d’acheter, sans rien de vraiment créatif (à l’exception de toute la partie consacrée au Grand Projet). Maintenant, j’aimerais que l’on se balade dans mon site en cliquant sur les liens et en découvrant toujours plus de choses autour de mes livres, ou de mes réflexions, ou de mes recherches en tant qu’écrivaine. Je sais que c’est un peu illusoire à l’heure où l’on prédit toujours plus la mort des sites Internet, mais si ça intéresse quelques personnes, c’est déjà ça de pris. Et moi, j’aurais laissé mon empreinte ITD*, même toute petite.

Dans le même temps, j’ai envie de développer tout ce qui tourne autour du Grand Projet, avec des réflexions sur mes livres, des petites histoires ou des anecdotes sur les lieux, les personnages, les événements, etc. Cela fera l’objet d’un prochain billet : comment j’ai « démarketisé » le Grand Projet pour me le réapproprier (il y a déjà un aperçu du truc sur la page du GP).

En espérant que tout ça me permettra de retrouver un rapport un peu plus sain avec mes propres créations littéraires (je ne compte pas les bijoux dedans, parce qu’il faut bien que je les vende), et avec Internet en général. C’est pas gagné. Mais il y a peut-être moyen.

 

Tchuss,
Rozenn

 

Ps : si vous voulez recevoir les billets du blog, il y a deux solutions : le flux RSS et l’inscription à la newsletter (puisque j’y relaierai les billets postés). Avant, il y avait la possibilité de s’abonner par email mais maintenant il faut s’inscrire sur WordPress.com apparemment, et je n’avais pas envie d’imposer ça.

* ITD : In The Dream (« dans le rêve »), un terme utilisé dans ma trilogie Marcheurs de rêves qui désigne le fait de se retrouver en rêve, en opposition à IRL (In Real Life, « dans la vraie vie »). J’utilise ITD de façon un brin ironique pour remplacer « en ligne ».

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