Se réapproprier son imaginaire

Le Grand Projet, c’est mon bébé.

La création dont je suis le plus fière. Le travail de nombreuses années. Une erreur, parfois, en tout cas je l’ai considéré comme tel dans les jours où je me sentais submergée non pas parce que j’avais créé, mais par la façon dont je « devais » le présenter au monde, entre injonctions et auto-sabotage.

Il faut dire qu’avant que je décide d’essayer de vivre de ma plume il y a 4 ans maintenant (que ça passe vite), j’écrivais mes romans comme j’en avais envie et je les publiais parce que ça me faisait plaisir, avec le secret espoir que l’un d’eux « prenne » et qu’il me permette de gagner en notoriété. Évidemment, ça n’est jamais arrivé : ça ne peut pas y arriver quand on publie un peu en dilettante sans connaître le marché et en se gourant totalement de cible. Mais bon, c’était fun, j’ai eu le bonheur d’avoir un lectorat, certes tout petit mais néanmoins fidèle, et, surtout, j’ai pu poser les bases de ce qui allait devenir mon grand monstre.

Je ne dirais pas que les choses se gâtent ensuite, parce que je ne l’ai pas forcément ressenti comme ça. En professionnalisant mon activité (c’est-à-dire en faisant de mes livres ma source de revenus principale), il a fallu également que je réfléchisse à comment vendre mon Grand Projet, de façon à ce que les nouveaux lecteurs se lancent et aient envie de lire d’autres livres. J’ai beaucoup travaillé là-dessus : la manière dont présenter mon grand œuvre (« une fresque de l’imaginaire donc chaque livre est un chapitre, et où chaque livre est indépendant tout en étant relié aux autres »), et comment y entrer, c’est-à-dire par quelle porte, quel roman, et quel chemin emprunter ensuite.

Ce n’était pas si difficile puisque le GP comporte plusieurs « arcs » : si vous aimez les vampires, vous pouvez commencer par Elisabeta. Si vous aimez l’urban fantasy et les histoires de fantômes, allez voir du côté de l’Ombre dans la pluie. Si vous voulez plutôt vous plonger dans un univers étrange et onirique, avec des sorciers possédant la magie du rêve, allez voir Midnight City. Les choses se sont faites assez naturellement, d’autant plus avec mon seul roman publié en maison d’édition, le Phare au Corbeau, que beaucoup de lecteurs découvrent en premier et qu’ils peuvent ensuite enchaîner avec l’Ombre dans la pluie puisqu’on est dans le même univers, avec des personnages en commun et une histoire dans la même vibe. Ensuite, il suffit de se laisser porter, chaque roman vous indiquant à la fin le titre le plus adéquat pour continuer.

Enfin, ça c’était sur le papier. En vrai, c’était beaucoup plus compliqué que ça.

Résumé des épisodes précédents

J’ai découvert que je me trompais totalement de cible, et ce depuis le tout début de ma carrière d’autrice auto-éditée, en 2012. Je n’ai pas regardé ce qui se faisait à l’étranger, notamment aux USA, où des auteurs auto-édités sont millionnaires et où ils sont considérés comme des auteurs normaux (insérez ici gros guillemets). Je n’ai pas cru en l’auto-édition en France. Et donc j’ai essayé de convaincre un lectorat qui ne lit pas d’auto-édition.

Ceci est ma plus grosse erreur, et probablement celle qui fait que je n’ai jamais réussi à vivre de mes livres, parce que j’ai fait partie des tous premiers auteurs s’auto-publier en France grâce à l’impression à la demande et à Amazon. Si j’avais pris le bon virage, je serais sans doute beaucoup plus loin. Et aujourd’hui, avec un marché très saturé et des « normes » (tropes, genres, thèmes) très rigides, je ne peux pas rattraper mon retard (et surtout pas avec un multivers aux genres très divers et sans romance).

Bref, je dévie un peu du sujet, mais je tenais à vous montrer un peu la réalité du truc, ainsi que le temps que j’ai mis à comprendre que je me plantais de cible. Il a fallu quoi, un an ? Ensuite, j’ai mis un an à comprendre le marché, et un an à essayer de m’y plier. Spoiler, je n’ai pas réussi, parce que j’écris des bouquins qui au mieux ne sont pas commerciaux (et il faut l’être un peu pour réussir) (et ça ne me dérange pas) au pire sont des ovni pas marketables, et parce que je n’ai pas envie d’écrire de romance ou d’urban fantasy classique avec des loups-garous ou de la romantasy avec des cours féeriques. C’est pour ça que j’ai arrêté de croire que je pourrais vivre de ma plume, alors que je sais que c’est possible (mais pas pour moi).

Parler à un mur

Le pire, dans tout ça, c’est que je me suis perdue en chemin.

Parce que j’ai essayé de convaincre des gens qui s’en foutaient. Pire, j’ai essayé de convaincre ceux qui critiquaient le principe du GP, ceux qui ne comprenaient pas pourquoi je faisais ça et qui n’auraient pas la moindre curiosité de lire ne serait-ce qu’un seul de mes livres, alors que j’ai toujours dit que mes livres étaient indépendants et qu’on pouvait les lire sans s’intéresser une seule seconde au GP. J’ai essayé de parler à des murs au point d’oublier le plaisir que j’avais de créer mes histoires, essayant de les faire rentrer dans des cases, de simplifier à outrance, voire même de ne plus mentionner le GP, tout ça pour les contenter.

C’est con, hein ? C’est l’histoire de toute ma vie. À force de me sentir à l’écart de tout, j’essaie de me glisser dans un moule, peu importe lequel, jusqu’à m’oublier.

Résultat, j’ai fini par annoncer, début 2023, que j’arrêtais le GP. Ce n’était pas vraiment le cas puisque je décidais de continuer à l’écrire de mon côté, mais j’arrêtais d’en parler, j’arrêtais de parler des liens entre les romans et je ne cherchais plus à en créer, en espérant que cette décision convainque plus de lecteurs à lire mes livres. Comme vous pouvez vous en douter, ça n’a pas fonctionné. Du coup, j’ai recommencé à en parler, après un an, et j’ai tout fait pour clarifier, encore et encore, parler de portes d’entrée, insister sur l’aspect indépendant, etc.

Retour aux sources ?

Aujourd’hui que mes livres ne sont plus ma source de revenus, je ne me préoccupe plus de tout ça. Je me suis rendu compte, alors que je révisais le premier du Monde du Vide, le tome 3 de ma trilogie Marcheurs de rêves, que toutes ces questions m’avaient vidée de mon imaginaire. D’ordinaire il suffit que je replonge un peu dans mon texte pour que mon cerveau se mette en ébullition et m’envoie dix mille idées pour de prochains projets, et cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps (youpi c’est revenu).

Que ce soit clair, je ne regrette pas d’avoir essayé d’être autrice à temps plein : je ne regrette rien et je suis contente d’avoir tenté l’aventure. J’ai appris plein de choses, j’ai vu l’envers du décor et je suis déçue de ne pas avoir réussi, et cela même si j’avais dû « amoindrir » mon bébé. J’ai toujours dit que je préférerais écrire plus commercial et en vivre, que d’écrire mes trucs chelous indéfinissables qui ne se vendent pas. Je suis faite pour écrire, et j’ai adoré le faire à temps plein.

Sauf que bon, quitte à écrire dans le vide, autant le faire comme on en a envie, et c’est cette liberté nouvelle que je découvre, exactement comme pour ma présence sur Internet (j’en parle dans un précédent billet). Et je réalise que la flamme ne s’est pas éteinte, rapport à ce tome 3 qui a su la rallumer alors que je me sentais piégée dans ma trilogie.

Marcheurs de rêves est l’exemple typique de tout ce que je raconte ici : une saga complexe, dense, avec beaucoup d’arcs narratifs, de personnages, d’époques différentes, et qui fait suite à plusieurs de mes romans. C’est un pivot des plus importants pour le GP, l’un de ces moments qui explicite des choses et annonce la suite, ainsi qu’une ribambelle de révélations fracassantes.

J’aime cette saga, j’aime cette histoire, mais les lecteurs, eux, ne m’ont pas suivie. Aujourd’hui, je considère que ce n’est pas grave ; jusqu’ici, c’était compliqué. Parce que j’avais fait l’effort d’essayer de rendre ces trois tomes les plus simples possibles, et surtout abordables pour quelqu’un qui ne connaissait pas mes livres. Une porte d’entrée, en somme, comme celles mentionnées plus haut. Et ça n’a pas fonctionné malgré tout, car il fallait tout résumer, tout expliquer, pourquoi les personnages en étaient là, qui ils étaient, les événements dont découlaient ceux de la trilogie… Ça a rendu le truc encore plus dense, voire lourd, et de mon côté, ça m’a retiré l’envie d’écrire le tome 3.

Mais clairement, à présent, ce n’est pas grave. J’ai finalement écrit ce tome 3 sans prendre en compte le moindre avis négatif sur les tomes 1 et 2 (déso pas déso) et en faisant MES choix narratifs, ce qui signifie que, oui, il y a de longs dialogues, des moments lents et contemplatifs, beaucoup d’explications. J’ai écrit comme je le voulais, et surtout comme je le pouvais, parce que j’ai dû faire avec ce que j’avais.

Et ce que j’avais, c’était deux premiers tomes remplis d’explications et de bouts de backstory dans tous les sens, tout ça pour que les lecteurs qui ne connaissent pas mes bouquins ne se sentent pas perdus, alors que ceux qui les connaissent déjà se bouffent des pages et des pages de résumé des épisodes précédents qu’ils connaissent déjà.

J’ai voulu que Marcheurs de rêves soit indépendant alors qu’il ne l’était clairement pas. Et c’est pour ça que je parle de retour aux sources, parce qu’à l’époque où j’ai commencé à esquisser les grands axes du GP, j’avais prévu d’écrire des sagas qui ne pourraient être lues qu’en ayant lu des romans précédents.

D’ailleurs, le tout premier schéma ressemblait à ça :

Pardon mais je ne sais plus du tout ce que c'est que ce projet Le marchand de sable.

Les choses ont beaucoup évolué depuis mais vous pouvez voir que pour lire les deux projets intitulés Straif et L’Exode, il fallait lire des romans et nouvelles précédemment écrites. Et j’aurais dû garder ce principe pour Marcheurs de rêves.

Maintenant, c’est trop tard. Je ne vais pas réécrire mes romans juste pour retirer le contenu lourd et redondant. Mais je vais quand même faire en sorte de ne plus conseiller de le lire si on n’a pas lu le reste. Et donc, ouais, il faudra avoir lu Midnight City et Night Travelers, Érèbe et la Maison des Épines, et lire ensuite D’Hiver et d’ombres pour mieux appréhender la trilogie. Et si on ne s’intéresse pas au GP ? Eh bien, je conseillerai de ne pas le lire, point.

Au-delà des romans

Cette prise de conscience récente m’a donné envie d’aller plus loin dans l’exploration de mon multivers. C’est connu, les auteurs passent beaucoup de temps à créer leur monde, le lore qui va avec ainsi que des kilomètres de backstory pour chaque personnage, et à l’arrivée, seuls 10 % de ce travail figure réellement dans le roman. C’est frustrant ! 

C’est pour cela que j’ai eu envie de creuser, et surtout de partager les découvertes et trouvailles qui sortent de cette exhumation, en les publiant ici, sur mon site. Cela rejoint ma volonté de transformer ce bon vieux site perso (qui fête ses 20 ans cette année, là, tout pile maintenant, mi-novembre) en archive personnelle, comme je l’ai évoqué dans mon billet précédent. Documenter ma petite vie d’écrivaine-créatrice de bijoux et dévoiler ce qu’il y a dans mes carnets, et surtout laisser une trace de cet univers qui grandit toujours plus.

J’ai conscience que cela ne sera lu que par un petit nombre de personnes, tout comme mon blog, mais le but n’est pas là. Si des lectrices & des lecteurs tombent dans le terrier du lapin et voguent de page en page pour découvrir les détails de mes histoires, c’est vraiment chouette, surtout que j’aime bien faire ça dans les wikis des livres ou séries que j’apprécie, mais si ces pages restent non lues, eh bien… tant pis ? Elles existent. Elles sont là pour rester, témoigner qu’à un moment, une écrivaine a voulu créer un univers plus grand qu’elle et qu’il a fallu le sortir de sa tête pour qu’il ne la ronge pas.

 

À quoi cela ressemblera, du coup ? À plusieurs choses :

  • Des petits textes en vrac, de la micro-nouvelle de plusieurs lignes au chapitre de plusieurs pages, histoire d’explorer des moments qui n’apparaissent pas dans mes romans. Pour le moment il y en a peu, mais c’est quelque chose que j’aimerais bien développer.
  • Des « pages de carnet », c’est-à-dire des bouts de réflexion, ou d’histoire, ou de chronologie, plus ou moins tirés des carnets physiques dans lesquels je note tout ce qui concerne mes projets. Ces pages ne sont pas figées et pourront être complétées dans le temps (je m’inspire du principe des digital gardens).
  • Des pages d’encyclopédie, qui existaient déjà. Elles sont plus formelles que les pages de carnet et sont là pour compléter votre lecture avec des informations résumées, des listes, etc.
  • Et enfin, le fameux WikiGPédia, ce fantôme qui me hante depuis longtemps et qui me paraît si énorme que je ne sais pas comment je vais faire pour m’en occuper. Il s’agira, donc, d’un wiki de mon univers. L’idée serait de faire contribuer des lectrices & lecteurs (j’en connais quelques-unes qui sont OK pour m’aider), mais je n’ai pas la moindre idée de comment organiser ça, alors ça traîne. 
 
 

Vous pouvez voir tout ça sur la page consacrée au Grand Projet : il y a déjà quelques pages d’encyclopédie, ainsi que deux pages de carnet pour vous donner une idée de ce à quoi cela ressemblera (une page sur l’histoire des Hiddleston et une autre sur la Graine, l’horloge qui hante mes romans). J’en rajouterai au fur et à mesure, parce qu’en ce moment, j’ai beaucoup de choses à raconter. Ah, et vous pouvez également retrouver la liste complète des œuvres du Grand Projet, si d’aventure vous souhaitiez commencer (ou poursuivre) l’exploration.

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