Secrets

Assise en tailleur sur son canapé, Régina écrit dans son carnet, cherchant ses mots ainsi qu’elle le fait souvent. Il fait très chaud, mais elle n’y porte pas vraiment attention ; seule compte l’encre noire inscrite sur les pages blanches, comme à la recherche d’elle-même. Ou quelque chose du genre.
Elle ne remarque pas tout de suite la silhouette humaine entrée dans son salon, et réalise sa présence quand une jeune femme prend place à côté d’elle, la sortant de sa concentration. Elle n’a pas un mouvement de recul : elle reconnaît sa visiteuse.
— Eh bien, sourit-elle, même ici tu ne me laisseras pas tranquille.
Elle repose son stylo, son carnet, et se redresse pour mieux affronter celle qui lui fait face. Cette dernière lui ressemble : le même visage aux traits fins, les mêmes cheveux longs et sombres… Seule la couleur de leurs iris diffèrent, car Régina n’a jamais pu se résoudre à lui donner les mêmes yeux qu’elle. C’était, se disait-elle, une provocation de trop.
— Tu n’es pas difficile à trouver, Onirographe, rétorque Épine.
— C’est parce que je ne me cache pas.
— Étrange… Tu ne me donnes pourtant pas cette impression.
Épine l’observe avec curiosité, et un rien de défiance, un comportement que Régina connaît bien : c’est son reflet dans un miroir. Elle patiente, alors, avant que sa visiteuse lui offre la question qu’elle meurt d’envie de lui poser.
— Tu sais ce que je suis venue te demander, affirme celle-ci. Et pourtant tu ne dis rien, tu gardes le silence, tu attends que je m’abaisse à la prononcer à voix haute.
— Ce n’est pas mon rôle de répondre aux questions. Moi, je me contente de les poser. C’est toi qui es censée apporter la réponse.
— Ne modifie pas les règles du jeu quand la partie est presque achevée.
La colère transparaît dans ces mots, mais Régina n’a pas peur ; elle n’a pas peur d’Épine, ni de qui que ce soit d’autre.
— Pourquoi ? demande alors sa visiteuse.
Toujours la même question. « Pourquoi  ? » Ça ne varie jamais, et la réponse ne diffère pas non plus. Régina dit :
— C’est ainsi. L’histoire continue et ne changera pas. Persister à vouloir la dévier ne fera qu’aggraver ton cas, parce que je ne changerai rien, pas un mot, pas une ligne, pas un souffle. Rien.
— Malgré tout ce que j’ai fait ? Malgré tout ce que je compte faire ?
— Malgré ça, oui. Ou avec ça.
À présent, elles se jaugent toutes les deux, la créatrice et sa créature, et si Régina perçoit un doute au fond d’elle-même, comme une fêlure, elle ne le montre pas. Elle demeurera un roc devant Épine, qui l’observe avec un espoir qu’elle ne lui avait jamais connu.
En fin de compte, son presque double détourne la tête et dit simplement :
— Très bien.
Puis elle se lève. Elle s’en va sans un regard en arrière, tandis que Régina reprend son souffle, la faille dans son cœur grandissant de plus en plus.
Elle ne devait pas céder. Elle se l’est toujours interdit, et ce malgré toute la douleur qu’elle a infligée.
C’était la règle. Ne rien changer, ne pas dévier, continuer quoi qu’il arrive. Pourquoi, alors, s’attarde-t-elle sur la déception qu’Épine a laissée derrière elle ? Pourquoi autant de culpabilité ?
Le doute prend la forme d’une graine, et Régina ignore ce qu’il en naîtra, cette fois.

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