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L'Ombre dans la Pluie

Extrait

Chapitre 1

« Cette pluie ne s’arrêtera jamais », songe le père Aidan. Au volant de sa voiture, il entend les gouttes marteler avec fureur sur le capot, balayer les vitres, noyer la rue qui s’offre à son regard, face à lui. Le soir est tombé depuis peu mais la nuit semble avoir tout avalé depuis des heures, digérant la ville avec lenteur.

Aidan MacKenna travaille au département des exorcismes du diocèse de Paris depuis bien des années. À cinquante-et-un ans, sa renommée a fait le tour de la planète, si bien qu’on lui a proposé d’intervenir plusieurs fois dans des pays lointains, en Afrique et en Amérique latine notamment, avant de se voir placardisé deux ans plus tôt. Aujourd’hui, il gère surtout les enquêtes préliminaires.

Le prêtre est garé dans une rue du 13e arrondissement de la capitale, non loin des Gobelins. Plongé dans un dossier, il ignore les gens qui passent et la circulation toute proche, mais pas le bruit de la pluie, qui l’apaise en dépit de son tintamarre. Il se remet en tête les éléments les plus importants : le nom de celle qu’il est venu visiter, celui de son fils, ou bien les dates que ce dernier lui a communiquées. Puis il soupire. La soirée s’annonce pénible.

Après avoir rangé les documents dans sa sacoche, Aidan enroule son écharpe autour de son cou, dissimulant son col blanc, et quitte la voiture. La pluie faiblit, comme un fait exprès. À le voir marcher ainsi, personne ne peut deviner qu’il s’agit d’un prêtre : veste et jean noirs, cheveux très courts, la silhouette dessinée par la boxe qu’il pratique plusieurs fois par semaine, on le prendrait plutôt pour un biker. Ou un musicien dans un groupe de rock.

L’immeuble où vit Angela Mancini se situe non loin, dans une rue voisine. Aidan s’y rend presque à reculons : les investigations de ce genre l’ennuient, elles se révèlent souvent inutiles et il n’aime pas perdre son temps. Une fois devant le bâtiment, il entre après avoir sonné à l’interphone, puis grimpe les trois étages d’un pas rapide. Un jeune homme aux cheveux bruns très bouclés lui ouvre quand il frappe à la porte.

— Vittorio Mancini ? s’enquiert-il.

Sa voix douce et grave résonne. Le jeune homme le jauge un instant avant de répondre :

— Oui. Vous êtes le prêtre ?

— Je suis le père Aidan. Je peux entrer ?

Vittorio hoche la tête avant de s’effacer, lui permettant de pénétrer dans l’appartement.

Aidan observe le couloir avec discrétion, le passe au scanner de son regard accoutumé aux étrangetés. Il y fait très sombre : pas de lampe visible, à part celle qui brille dans une pièce voisine, sans doute le salon. En face de la porte se trouve un escalier qui conduit à l’étage, faisant du logement un duplex. L’entrée est à la fois douillette et oppressante, décorée de délicats tableaux reproduisant des fresques antiques, d’un tapis qui atténue le bruit de leurs pas, et peuplée d’ombres cachées dans les coins. Et l’odeur… Une odeur de roses abandonnées dans un vase, de fleurs pourries. Pourtant, le nouveau venu ne remarque aucun bouquet nulle part.

— Je sais, ça ne sent pas bon, s’excuse Vittorio. Il y a cette odeur dans l’appartement depuis que maman est rentrée.

— Ça vient d’elle ?

Le jeune homme hésite, embarrassé.

— Oui, avoue-t-il.

— C’est normal.

Ces simples mots semblent l’apaiser, mais pas beaucoup : manifestement, la présence d’un prêtre chez lui ne lui plaît pas tant que ça. Aidan a l’habitude de la méfiance.

— Je peux ? demande celui-ci en désignant la porte d’où s’échappe un peu de lumière.

— Faites comme chez vous.

Ils entrent dans le salon, une salle plutôt petite et étouffante chargée de meubles anciens et de tentures aux fenêtres. Un échiquier en bois précieux se tient à côté de la table basse, privé de ses pièces, et une unique lampe éclaire à peine les lieux. Aux murs, de nouveaux tableaux montrent d’autres fresques. Aidan les désigne et interroge :

— Votre mère est restauratrice d’art, c’est ça ? Et vous, vous faites quoi ?

— J’ai obtenu mon diplôme en hôtellerie-restauration. Je vais reprendre un bar avec des amis.

— Quelle bonne idée.

Un froncement de sourcils durcit le visage délicat de Vittorio, que la lumière diffuse adoucit plus encore.

— Pardon, sourit Aidan. C’était sincère, je ne me moquais pas de vous. Êtes-vous croyant ?

— Non. C’est important ?

— Absolument pas. Et votre mère ?

Tout en parlant, Aidan pose sa veste trempée sur le dossier d’une chaise, ainsi que son écharpe. Il songe qu’il devrait prendre garde à ce qu’il raconte au jeune homme : celui-ci se tient sur ses gardes, peu ravi d’avoir dû céder à la demande de sa mère de faire venir un prêtre pour l’exorciser. Non, se remémore-t-il soudain, de sa tante.

— Maman est croyante, répond Vittorio après un silence. Mais pas à ce point.

— À ce point ?

— Les démons, Satan… Elle n’en a jamais parlé.

— D’accord. Je peux la voir ?

Le jeune homme déglutit, puis il acquiesce avant d’ouvrir la marche dans les escaliers. Aidan le suit.

— Ça fait dix jours, c’est bien ça ? continue ce dernier.

— Oui. Elle est rentrée de Rome et a commencé à se sentir mal. Elle ne mangeait plus, ne dormait plus… Elle semblait entendre des voix. En tout cas, elle me demandait souvent si c’était moi qui lui parlais alors que je ne disais rien. Elle voyait des ombres, des silhouettes… Il y a trois jours, elle criait qu’elle était possédée.

— Avec sa propre voix ?

— Avec sa propre voix, mais cassée.

Les ténèbres les accueillent dans le couloir en haut des marches. Ici aussi, il y a des tapis, feutrant l’atmosphère, et une unique veilleuse à l’éclat atténué.

— Elle ne supporte pas la lumière ? s’enquiert Aidan.

— Elle ne veut pas que j’allume. Même la lampe d’en bas, elle la voit sous la porte et ça la dérange.

Pendant qu’ils traversent le couloir avec un minimum de bruit, le prêtre analyse la situation : des signes plutôt classiques qui n’affirment ni n’infirment la possession, une histoire cohérente, un fils sur ses gardes… Le changement de voix ne prouve rien, Aidan a déjà vu des gens qui se disaient sous l’emprise du démon réussir à transformer leur voix et à prendre le timbre d’un monstre sorti de l’Enfer.

Pour autant, il peine à se faire une idée. L’odeur de roses en décomposition, plus puissante à l’étage, le déroute. Il s’agit d’un indice quasiment irréfutable.

Vittorio s’arrête au fond du couloir, visiblement nerveux. Il a mis des serviettes de bain le long de la porte pour empêcher la lumière de passer.

— Je l’ai enfermée parce qu’elle cherchait à s’échapper, chuchote-t-il. Je ne sais pas dans quel état sera la chambre…

— Ne vous inquiétez pas.

Aidan allait ajouter « j’ai vu pire », mais ce genre de propos fait plus de mal que de bien, en général.

— Je vais entrer en premier, indique-t-il. Restez dehors jusqu’à ce que je vous dise que tout va bien.

— Et si ça ne va pas bien ?

— Je suis ici pour évaluer la situation et chercher des preuves, c’est tout. En cas d’urgence, je me contenterai de l’endormir.

— OK.

Vittorio a peur. Tout en lui crie qu’il ne veut pas entrer dans la chambre, de ses yeux grands ouverts dans la pénombre aux doigts qui s’agrippent à son pull, à ses ongles rongés. Même s’il ne croit pas aux démons – ni en Dieu –, l’état dans lequel se trouve sa mère l’inquiète beaucoup.

Aidan pose sa main sur son épaule en un geste qu’il espère réconfortant, puis se tourne vers la porte. Un soupir manque de lui échapper. Crainte, lassitude… et excitation. On ne se refait pas.

Il entre avec un luxe de précaution. La porte s’ouvre sans un grincement, au contraire de ses pas qui résonnent sur le plancher. Le bruit arrache un son à la mère de Vittorio, entre le grognement et le gémissement.

La très faible lueur venue du couloir éclaire à peine l’intérieur de la chambre, dont il distingue les contours avec beaucoup de difficulté. Il repère la fenêtre au fond ; un énorme lit se tient au milieu de la pièce, les draps défaits et souillés. Alors qu’il continue d’avancer, Aidan cogne dans un objet gisant au sol. Un réveil. Le choc lui arrache un ding sonore.

— Bonjour, Angela, salue-t-il à voix basse. Je suis le père Aidan. Je suis venu pour vous aider.

En réponse, un autre grognement. Puis du mouvement, à sa gauche. Une forme ramassée sur elle-même se détache de la pénombre, entre le mur et l’armoire.

— Oh, mon père, murmure Angela avec un étrange timbre rouillé. Enfin, quelqu’un vient. J’ai attendu si longtemps…

— Qu’avez-vous attendu ?

— Ça, ça… Les voix et les ombres. Ne les vois-tu pas ?

Aidan perçoit une fêlure dans cette voix, qui devait autrefois être douce et chantante. Angela Mancini est italienne, se souvient-il. Elle s’est mariée avec un Français qui travaillait à Rome, s’est installée ensuite à Paris… Elle parlait peu le français à l’époque, disait son fils. Elle a appris, mais elle n’a jamais réussi à se départir de son accent.

Un accent qu’il n’entend pas, ici.

Le remarquer lui donne la chair de poule. Les ombres semblent bouger, les murs se refermer sur lui. Le parfum de roses fanées le prend à la gorge.

— Puis-je allumer ? demande-t-il d’une voix qu’il aurait voulu plus ferme. J’aimerais vous voir.

— Pourquoi ?

Sa vision finit par s’accoutumer à l’obscurité, si bien qu’il distingue maintenant la silhouette d’Angela. Il tend la main vers la table de chevet. Il a volontairement laissé le lit entre elle et lui de peur qu’elle ne lui saute dessus si jamais elle se mettait en colère. À la porte, Vittorio suit la scène en retenant son souffle.

— Je vais allumer, Angela, prévient Aidan.

Joignant le geste à la parole, il actionne l’interrupteur. Une douce et chaude lumière inonde la chambre, arrachant un cri à la femme qui se tient face à lui.

Cependant, Angela ne bouge pas. Elle se contente de tourner la tête et de fermer les yeux, avec sur le visage une grimace de douleur.

Elle apparaît décrépite, la peau ridée comme une vieille pomme, des taches sombres sur les joues et le front. Aidan distingue aussi des blessures – des griffures, ce qui n’a rien d’inhabituel –, des trous dans ses cheveux noirs, laissant voir le crâne en dessous. S’il s’agit d’un véritable cas de possession, le processus s’avère assez avancé pour craindre pour sa vie.

Aidan est déjà venu en aide à des gens en bien pire posture. Des cadavres ambulants dont il ne restait plus que la peau sur les os, le corps couvert de mutilations, parfois de dessins ou d’inscriptions qu’ils se sont faits à eux-mêmes, des mains aux ongles arrachés, des membres gagnés par la gangrène… Le plus difficile à soutenir, ce sont les yeux. Ils brillent d’un éclat dément, presque surnaturel, et hantent le prêtre pendant des semaines.

— Le spectacle te plaît ? lance Angela de son étrange voix. C’est conforme à ce que tu attendais ?

— Qui es-tu ? Quel est ton nom ?

Elle ne répond pas, plongeant son visage entre ses mains.

— Toujours les mêmes questions, déplore-t-elle. Et rien, rien qui ne me vienne en aide…

— Qui es-tu ?

La voix d’Aidan s’est faite plus dure. Elle résonne dans la chambre comme un coup de tonnerre, accompagnant l’averse qui redouble et frappe sur le volet avec rage.

« Ce n’est que la pluie », songe-t-il. Il les connaît, les signes ; il sait que, parfois, les éléments se liguent contre l’exorciste venu libérer un innocent, mais pas là, pas maintenant.

À moins qu’il ne se trompe ?

Avec le temps, Aidan a commencé à douter. De lui, des esprits qu’il chasse de ce monde, de Dieu, il l’ignore. Mais il doute. Il étudie les dossiers qu’on lui confie et les rejette sans y voir le moindre signe d’une possession, il se rend chez les gens qui lui demandent de l’aide et les déçoit, presque, quand il leur assure que leur père, leur mère, leur enfant n’est pas possédé, qu’il ne s’agit que d’un trouble bien humain et qu’il ne peut rien faire pour eux. Parfois, ils lui en veulent.

La pluie tambourine à la fenêtre. Angela gémit doucement, comme si une bête vivait dans sa gorge et cherchait à s’en extirper, un grincement de porte aux gonds rouillés, et la respiration saccadée de Vittorio dans le couloir surnage dans cet étrange et terrifiant concert donné dans les ténèbres. Pas un signe, vraiment ?

Aidan secoue la tête, chasse ces pensées. Peut-être l’esprit qui possède Angela le pousse-t-il à douter, en fin de compte, mais cela ne revêt aucune importance à ses yeux. Cet esprit ne fait que déterrer quelque chose qu’il connaît déjà, qu’il a déjà affronté, qu’il affronte tous les jours.

Il glisse la main dans la poche de son jean et en sort une petite croix en argent, qu’il montre à Angela. Puis il commence à réciter :

— Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen. Seigneur, ayez pitié de nous…

La pluie redouble. Aidan sent son cœur accélérer et pense en lui-même « mon Dieu, pourquoi le doute, pourquoi le doute alors que les preuves sont toujours là… », et poursuit la litanie, s’attirant les foudres de ce qui vit dans la pauvre femme roulée en boule sur le plancher de sa propre chambre. Elle souffle et feule tel un chat, s’agrippe le visage pour le griffer…

— Saints Michel, Gabriel et Raphaël, continue Aidan, priez pour nous, saints Anges et Archanges, priez pour nous…

Angela se redresse soudain, en un mouvement vif qui n’a plus rien d’humain. Elle le fixe par en dessous, menaçante.

— Moi aussi je la connais, ta litanie, rugit-elle. Moi aussi je la connais, saint Étienne et saint Pierre et saint Paul et saint Jean, et tous les autres, tous, sourds pour toujours à nos tourments !

La voix change peu à peu. Le timbre féminin malmené se noie dans la colère d’une seconde voix, masculine et ravagée, un souffle qui brûle l’œsophage, racle la gorge, se perd en lames acérées dans l’air devenu froid.

— Qu’ont-ils fait ? continue la présence. Qu’ont-ils fait, William et Joseph, Silvano et John, Marcus et Lucas, Gabriel et Auguste, Edgar et Lankester, Richard et Damien…

Le fracas de la foudre qui tombe non loin l’interrompt. Et Aidan, la main crispée sur sa croix d’argent, se fige de stupeur.

Chapitre 2

— J’ai fini, annonce Gabrielle. Maintenant, je me pose et je ne bouge plus jusqu’à ce soir.

Oxyde n’a pas le temps de lever la tête que la jeune femme s’assied dans le fauteuil – « se vautre » serait plus juste –, les yeux fermés de contentement. Il s’agit du siège du patron, un énorme fauteuil en cuir des plus confortables, un trône pour ainsi dire. Et comme le patron en question est absent les prochains jours, Gabrielle va se faire un plaisir d’en profiter.

Un silence serein les enveloppe tous les deux. Ils se trouvent dans le bureau de Côme Bourgeois, le propriétaire de la Boîte Noire, une discothèque située en plein cœur de Paris. La pièce est des plus confortables : grise et noire, feutrée, avec une immense table de travail, un salon pour les VIP, et à portée de main les écrans des caméras qui surveillent l’établissement. À cette heure de l’après-midi, l’on y croise seulement les employés et les livreurs qui apportent de quoi se saouler toute la nuit. Au loin, l’on entend le lent tempo d’un titre d’Archive.

— Tu es prête pour ton set ? demande Oxyde, et sa voix très grave résonne dans le silence.

— La partie purement électronique est prête. Pour la partie organique, je te répondrai après un ou deux cafés. La soirée d’hier a fini à huit heures du matin. Tu es en vacances, toi, non ?

— Affirmatif. Je termine l’emploi du temps et je me tire. Ce qui veut dire que je ne verrai pas Côme lorsqu’il reviendra.

— Quelle chance… C’était bien quand il n’était pas là.

— À qui le dis-tu.

Elle rit avec désinvolture, avant de siroter son Coca. Gabrielle est une amie, une musicienne qui s’est découvert une passion pour la musique électronique il y a quelques années, et qui donne des sets de temps à autre à la Boîte Noire, sous son nom d’emprunt, Fragmenta. Elle paraît toute frêle dans cet immense fauteuil, avec sa peau très pâle et ses cheveux blonds. Elle paraît, seulement. Gabrielle est capable du pire comme du meilleur, puisqu’elle influence le comportement des gens avec sa musique.

Certains d’entre eux manipulent la chance, d’autres entendent les émotions, d’autres voient des fantômes. Oxyde, lui, sait faire tout ça, et bien d’autres choses encore, et c’est ce qui explique pourquoi il dirige tout ce petit monde à la Boîte Noire. L’établissement est devenu avec le temps un repaire de super-héros fracassés, une équipe de sorciers qui n’a rien à envier aux Avengers. « Et dans ce cas-là, c’est toi qui joues Thor », grince Oxyde en lui-même.

Dans le civil, il est chargé de sécurité ; officieusement, il est clairvoyant en chef, comme aime le dire Gabrielle. Son rôle depuis quelques années consiste à faire fructifier les affaires du patron, légales et illégales, grâce aux sorciers que ce dernier a réunis autour de lui. Médiums, voyants et jeteurs de mauvaise fortune, des gens dangereux quand on ne les contrôle pas – ou pire, quand on les contrôle un peu trop bien.

Gabrielle n’a pas toujours conscience des risques : pour elle, la magie qu’ils détiennent n’est rien d’autre qu’un accident, une étincelle de lumière bien trop fragile dans un monde qui oublie de rêver, et elle n’a aucun scrupule à en user comme elle l’entend. Elle considère qu’Oxyde est à sa place, ici. Chef d’une armée de l’ombre, avec les pouvoirs qu’il possède – tous les pouvoirs ou presque, le propre des clairvoyants. Des sorciers ++, rares donc discrets, secrets, et chers quand on espère les embaucher. Oxyde ne se fait pas prier. Ça compense la galère qu’il a vécue lorsqu’il était plus jeune, sans possibilité de se fixer quelque part parce qu’on lui voulait du mal à cause de sa magie, sa réputation ou n’importe quelle autre raison tordue qu’on a pu lui opposer.

Il se sait capable du pire, lui aussi. Gabrielle n’est pas la seule. Ils sont nombreux comme ça, à s’attirer le malheur, et Oxyde est un aimant à emmerdes.

— Tu es dispo mercredi ? demande-t-il à Gabrielle, rompant à nouveau le silence.

— Je crois.

— Ça te convient de bosser avec Isaïah et Romain ?

— Romain, le nouveau ? Ouais. OK.

— Vendu.

Oxyde ajoute le nom de Gabrielle à l’emploi du temps, parachevant celui-ci.

La Boîte Noire est comme lui, une convergence. Lui se couvre de symboles pour se protéger : bijoux ésotériques, cicatrices et tatouages marquant sa peau noire, jusque sur son crâne, cachés sous la masse de ses interminables dreadlocks. Ainsi, la magie circule en lui et sur lui. Et la Boîte Noire, c’est pareil : un endroit où des gens qui possèdent ces dons se rencontrent, formant un nœud occulte. Un temple, en somme. Préservé par la somme des talents qui s’y croisent, mais aussi vulnérable car bordélique comme pas possible. Alors Oxyde a mis en place un roulement pour que des sorciers viennent régulièrement y ajouter leur patte, leur présence, leur bénédiction ou n’importe quoi d’autre, ce qui doit se faire dans les règles.

— Tu as l’agenda de Francesca à portée de main ? s’enquiert-il.

— J’ai.

Bruit métallique d’un tiroir qu’on ouvre, puis choc du registre que Gabrielle pose sur le bureau. Oxyde lui dicte l’emploi du temps des deux prochaines semaines ; il songe en même temps que Francesca, la directrice de la boîte, lui manque un peu trop depuis qu’elle est partie en voyage d’affaires avec Côme. Il se sent toujours esseulé lorsqu’elle n’est pas là.

— Elle revient quand ? demande-t-il.

— On se languit de la patronne ?

Le ton malicieux de Gabrielle lui arrache un sourire. OK, le voilà pris en flagrant délit. Pour autant, la jeune femme a la délicatesse de ne rien ajouter et se contente de répondre :

— Elle revient après-demain. Il faudra écourter tes vacances, joli cœur.

Oxyde n’a pas le temps de répliquer : quelqu’un frappe à la porte. C’est Yénofa, la barmaid, une grande blonde qui fait se pâmer les clientes lesbiennes quand elles viennent acheter leurs consos au bar.

— Oxyde, il y a quelqu’un pour toi, le prévient-elle.

— J’arrive.

Après avoir terminé d’annoter l’emploi du temps, il le pose sur le bureau, puis récupère sa veste en cuir usé, jetant un coup d’œil à la caméra qui donne sur le comptoir. Il y voit un homme patienter devant un verre, quelqu’un qu’il reconnaîtrait de loin, de dos et dans le noir sans le moindre souci. Il sourit.

Gabrielle s’est relevée, elle aussi, et regarde l’écran en haussant les sourcils.

— Tu le connais ? demande-t-elle sur un ton appréciateur.

— C’est un ami.

— Tu en as beaucoup, des amis comme ça ? Hormones overload, j’ai envie de dire.

Oxyde enfile sa veste et répond :

— Je ne pense pas qu’il soit intéressé. C’est un prêtre.

Il quitte Gabrielle sur ces mots, l’entendant râler de frustration même après avoir fermé la porte du bureau. Bien fait.

La musique l’assaille lorsqu’il rejoint la salle, balançant les envolées de Old Artist, son titre préféré d’Archive. Quelle bénédiction, cette collègue qui apprécie ce groupe autant que lui. Puis il retrouve celui qui a fait tant d’effet à Gabrielle, qui fait tant d’effet sur tout le monde, à dire vrai, installé à une table en retrait. Le nouveau venu se redresse à son approche.

Edgar Hernandez est effectivement prêtre, en dépit de sa belle gueule : fils unique d’un couple d’immigrés vénézuéliens très croyants, il est entré dans les ordres il y a trois ou quatre ans. Ils ont le même âge, trente-cinq ans à quelques mois près, et ont été les derniers apprentis d’un exorciste de l’Église catholique quand ils étaient jeunes.

— Salut, lui lance Oxyde. Ça faisait longtemps !

— Je n’étais pas sûr que tu sois là à cette heure, lui répond son ami avec une trace d’accent espagnol.

Ils échangent une accolade, puis Oxyde désigne d’un geste le verre de Coca presque vide sur la table.

— Un autre ?

— Je veux bien, merci.

Oxyde commande un second Coca et un café pour lui, que Yénofa apporte avec un sourire.

— Qu’est-ce qui lui arrive encore, à Gabrielle ? demande-t-elle.

— Elle a les hormones qui la chatouillent, je crois.

Au loin, l’intéressée lance alors qu’elle quitte le bureau à son tour :

— Je t’entends, Carat.

— C’est fait exprès.

Yénofa éclate de rire, puis elle s’éclipse. Edgar se retient de rire, lui aussi, le nez dans son verre, à la fois amusé et embarrassé.

— C’est de ta faute, lui dit Oxyde. À chaque fois c’est pareil : elles me parlent toutes de toi pendant des semaines.

— Navré.

Edgar ne semble pas le moins du monde désolé. Il a l’habitude de faire cet effet aux gens, et ça n’a rien de surnaturel : il y a une aura lumineuse autour de lui, faite de gentillesse et de charme. Ça le gênait, au début, en particulier quand il devait rembarrer celles et ceux qui tentaient leur chance en leur avouant qu’il était prêtre ; maintenant, il s’en fiche.

Aujourd’hui, Edgar lui apparaît fatigué. Les gestes un rien saccadés, les ombres sous ses yeux sombres, la barbe négligée, tout en lui trahit sa préoccupation.

— J’ai été étonné d’apprendre que tu travailles toujours pour le Bourgeois, commente-t-il. Moi qui pensais qu’il t’aurait saoulé au bout de deux mois…

— Je le croyais aussi, mais on s’habitue à tout.

— Tu le fais raquer, avoue.

— Bien sûr que oui.

Edgar s’esclaffe tout en jouant avec son paquet de cigarettes.

— Il y a toujours du boulot ici, si tu veux, reprend Oxyde.

— Ouais, je sais, peut-être plus tard.

Il s’interrompt, puis lâche le paquet de clopes avant de se décider à lui dire pourquoi il est venu.

— Je bosse sur une affaire, en ce moment, révèle Edgar. Une enquête pour le diocèse de Paris. Le prêtre qui s’en occupe tenait à m’en faire part avant de demander l’autorisation d’exorciser la victime.

— C’est un vrai cas de possession ?

— Apparemment. Je ne l’ai pas encore vu.

Soudain, Oxyde appréhende la suite, un peu comme une intuition qui vient pile avant que quelqu’un ne déboule et ne nous dise « il faut qu’on parle ». Devant lui, Edgar termine son verre d’un trait. Puis il demande :

— Tu te souviens de sœur Rosemary ?

Rosemary, voilà un nom qu’il n’a pas entendu depuis longtemps. Oxyde se refusait même à y penser. Cette histoire date d’il y a dix ans, mais elle résonne encore, parfois, dans son sommeil, lorsqu’il rêve ses propres rêves.

Un exorcisme qui a mal tourné, quand Edgar et lui étaient les apprentis du père Auguste. Il y a eu d’autres exorcismes, d’autres ratés, d’autres catastrophes, mais celui-ci a fait office d’avertissement, de porte qui se fermait pour toujours. De point de non-retour.

Rosemary était une jeune sœur originaire d’un village d’Écosse, venue à Rome dans l’espoir de rencontrer le pape. Elle n’est pas repartie : l’esprit qui s’était installé en elle l’a transformée en monstre de méchanceté, dangereux et menaçant, et personne n’a réussi à l’en arracher. Rosemary est morte à vingt-quatre ans, et Oxyde est resté avec cette défaite sur le cœur, comme le fantôme de quelque chose qu’il a caché sous le tapis, un mauvais souvenir que l’on range dans une boîte en haut d’un placard. On sait qu’il est là, mais on ne l’en sort jamais.

Pour ce qu’il en sait, Edgar a vécu le même sentiment d’échec, la même amertume. Le père Auguste aussi. Ce dernier est décédé peu de temps après.

Ils ignoraient ce qu’était devenu le spectre, s’il était finalement passé – passé de l’autre côté, là où doivent se rendre les esprits – ou s’il était parti hanter quelqu’un d’autre. Qu’il revienne un jour ou l’autre était à prévoir.

Et Edgar l’a retrouvé, semble-t-il. Et compte bien réparer la faute commise il y a dix ans. Une question demeure : Oxyde va-t-il l’aider ?

La réponse n’est pas si simple. Car le cas de Rosemary n’est pas qu’un échec ou une erreur, c’est autre chose, la résultante d’une centaine de choix malheureux, le point de départ d’une centaine d’autres, et une douleur qu’il espérait profondément enfouie.

— Je suis en congé, Edgar, soupire Oxyde.

— Désolé. Je veux seulement en discuter, c’est tout.

— OK, chez moi alors. Tu as ta voiture ?

Edgar acquiesce.

Avant de quitter la boîte, Oxyde passe par le comptoir pour saluer Yénofa et Gabrielle ; les yeux pleins d’espoir de cette dernière lui arrachent un sourire malgré la morosité qui s’installe.

— Dis-lui de revenir, dit-elle avec malice. Prêtre ou pas prêtre, hein.

— On se calme, Frag.

Dehors, la pluie a repris. Elle noie toujours la ville, éteint ses couleurs, et réveille à présent des souvenirs qu’il ne fallait pas déterrer. Edgar s’est garé deux rues plus loin. Quand il démarre, l’autoradio rugit brièvement – un vieil album de Ill Niño – avant qu’il ne le coupe ; la circulation, déjà dense, s’intensifie en raison de l’averse. Le silence dans l’habitacle est apaisant, même troublé par le ballet incessant des essuie-glaces sur le pare-brise, qui vont et viennent en grinçant. La voiture d’Edgar sent le tabac – en même temps, il fume en conduisant. Il y a un rosaire en perles de grenat accroché au rétroviseur.

— J’imagine que tu ne bosses pas pour le Bourgeois uniquement parce qu’il paie bien, s’enquiert Edgar en s’arrêtant à un feu rouge.

Ça n’a rien d’une question.

— On va dire que je rends service à sa cousine, Francesca, à qui il demandait de faire le sale boulot.

— Une fille, donc.

Oxyde ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel. Décidément, ils se sont tous donné le mot… Il ne se démonte pas pour autant, et répond :

— Lorsque tu as l’habitude de balancer des malédictions à tout va, le karman revient forcément te réclamer des comptes. C’est ce qu’elle faisait. J’ai donc pris sa place pendant un temps.

— Ta gentillesse te perdra.

— Et c’est toi qui me dis ça. L’Église qui se fout de la charité, si tu veux mon avis.

Edgar se contente de sourire. Le feu passe au vert au même moment : il redémarre et s’engage dans une rue déjà bien encombrée, ce qui ne le fait pas sourciller.

— Elle peut m’aider, reprend Oxyde sans savoir pourquoi. Elle est en mesure de retrouver la trace de celui qui m’a acheté.

Ce n’est pas exactement un mensonge. C’est vrai, Francesca est capable de débusquer cet homme qui a changé sa vie lorsqu’il était plus jeune ; pour autant, il ne s’agit pas de la seule explication. Parce que Francesca aussi a changé sa vie quand elle y a fait irruption. Mais Oxyde n’est pas sûr que ses sentiments soient réciproques, et il n’a pas envie de se justifier devant qui que ce soit, même l’un de ses amis les plus proches.

Edgar se contente d’acquiescer. Il connaît l’importance de ces recherches, et sait quand il ne faut pas poser de questions. Oxyde en profite pour changer de sujet :

— Comment va Snow ?

Snow était le nom de la chatte toute blanche qui vivait avec Auguste et qu’il a récupérée à sa mort.

— Madame nous a quittés il y a six mois, répond-il. Elle venait de fêter ses vingt ans. Elle me manque un peu, cette vieille carne.

— Elle aura eu une belle vie.

— Oh oui. Et Élias, comment va-t-il ?

— Il bosse toujours aux États-Unis, avec la ferme intention de devenir millionnaire dans les prochaines années.

Au même instant, la désapprobation d’Élias se fait sentir, comme un « tsss » lointain lancé par quelqu’un qui serait agacé par ces paroles. Oxyde s’en amuse, peu impressionné par les remontrances télépathiques de son ami d’enfance. Car oui, il est lié ainsi à Élias. Une bizarrerie de plus à ajouter à son palmarès.

— Il écoute aux portes, là, raille-t-il.

Et Edgar éclate de rire.

Ils arrivent chez Oxyde après une longue demi-heure d’embouteillage pluvieux. Le petit appartement est à l’image de son propriétaire : à la fois sombre et chaleureux, un rien ramassé sur lui-même, caché sous une aura de magie. Edgar le perçoit quand il entre :

— Tu t’es barricadé ?

— On va dire qu’on ne me veut pas que du bien dans cette ville. La liste rouge ne suffit pas.

De discrets symboles ont été gravés sur les montants de porte, invisibles à ceux qui ne cherchent pas ; des dessins ésotériques, des livres de prières, des objets rituels, tout ça contribue à dissimuler et protéger le logement, sans compter les sortilèges inscrits sous les tables et planqués dans les rideaux. Oxyde a passé des semaines à blinder son appartement.

Après s’être débarrassés de leurs vestes trempées, ils commandent une pizza, et Edgar s’allume une énième cigarette. Après quoi, il sort de son sac un carnet noir. Il n’est pas venu pour enfiler des perles, manifestement.

— J’ai reçu un coup de fil d’un prêtre qui étudie les demandes d’intervention, comme moi. Le père Aidan MacKenna. Tu le connais ?

— De nom. Je ne l’ai jamais rencontré. Il a travaillé avec Auguste une ou deux fois, non ?

— Il lui avait refilé des dossiers. Imagine, le mec est une pointure parmi les exorcistes, on lui a donné le titre de chasseur de démons, et maintenant il se retrouve dans un bureau à décider si tel ou tel cas relève de la possession ou de la psychiatrie. Bref, il m’a appelé hier, il venait de rendre visite à une femme pour une évaluation. Il était sceptique au départ, jusqu’à ce qu’elle change de voix. Elle mentionnait des noms.

Edgar ouvre son carnet et lit ce qu’il a sous les yeux :

— « William, Joseph, Silvano, John, Marcus, Lucas, Gabriel, Auguste, Edgar, Lankester, Richard, Damien. » Ça t’évoque sans doute quelque chose ?

Oui, ça lui évoque quelque chose. Ces noms, Oxyde n’a jamais réussi à les oublier. Ils n’étaient pas dans le même ordre – et quatre d’entre eux n’y figuraient pas à l’époque –, mais impossible d’occulter cette liste qu’il a entendue des dizaines de fois, et qu’il s’est répété des centaines d’autres fois ensuite, comme un mantra.

— Sœur Rosemary déclamait ces prénoms en boucle, dit-il d’une voix blanche. Enfin, une partie de ces prénoms, puisqu’il y a les nôtres, maintenant.

— Ainsi que ceux du père Auguste et du père Silvano. Nous ignorions qui étaient ces hommes, mais aujourd’hui nous avons la réponse : ce sont tous des exorcistes.

Vertigineux. Depuis combien de temps cet esprit erre-t-il sur Terre ? La violence du rituel il y a dix ans était un indice, pourtant. Plus un fantôme s’attarde, plus il devient dangereux. La voix coupante et menaçante qui avait pris possession de Rosemary s’impose à la mémoire d’Oxyde, cachée sous des couches et des couches de souvenirs, au plus profond, parce qu’à une époque elle l’empêchait de dormir. Il ne se rappelle pas tout à cause d’un sale coup pris à la tête, mais ce son, ce son… Et il n’y avait pas que cette voix, ni même la foirade absolue qui a résulté de l’exorcisme, non… Il y avait aussi la déception d’Auguste, tous les espoirs qu’il avait mis en Oxyde, des années à essayer de le contenir comme on tente de maintenir debout un vase fêlé. Tous ces gens qui avaient peur de lui, et ceux à qui il a fait du mal…

— Je ne voulais pas te rappeler de mauvais souvenirs, fait Edgar en écrasant sa cigarette. Je ne pensais pas que cela te hanterait encore, pour tout dire.

— Tu ne pouvais pas savoir. Moi-même, je croyais qu’il s’agissait d’une histoire ancienne, mais…

— Mais ça touche à Auguste.

Oxyde secoue la tête.

— Auguste n’y est pour rien, reprend-il. Nous aurions dû réussir, c’est tout. J’ai toujours eu du mal à encaisser cet échec.

— Il t’a fait changer, pourtant. Il t’a permis de te transformer, de devenir la personne que tu espérais devenir et de tirer un trait sur celle que tu étais autrefois.

— Mais à quel prix ?

Edgar ouvre la bouche pour répondre, puis il s’abstient. Il sait très bien à quel prix. Cela n’a pas seulement coûté la vie à sœur Rosemary.

Parfois, les sacrifices consentis apparaissent trop chers à Oxyde, et parfois il se dit qu’il s’agissait d’un moindre mal. Cela dépend de son humeur et de la météo. De la lassitude qui le prend quand le monde tourne de travers, ou quand des miracles se produisent. Finalement, il garde le silence et se contente d’allumer une cigarette à son tour. Heureusement qu’il a pensé à ouvrir la fenêtre.

— Je peux me débrouiller, déclare Edgar en jouant avec son briquet. Nous y parviendrons avec le père Aidan. Sans compter que nous avons un élément de taille, puisque cet esprit tient le compte des exorcistes venus le chasser. Il suffira de consulter les archives.

— Je ne suis pas sûr que vous y arriviez.

Edgar repose le carnet sur la table, observant Oxyde avec ce regard qu’il ne connaît que trop bien.

Son ami ne réagit pas à ces derniers mots. En réalité, Edgar Hernandez ne se formalise pas de grand-chose, lui qui s’apparente à un bulldozer lancé à pleine vitesse. Oxyde se souvient très bien de sa manière d’obtenir tout ce qu’il voulait. Il lui suffisait de prendre, et c’était tout. Il sait se servir de sa gueule d’ange et du charme qu’on lui prête, si bien que personne n’hésite à lui donner ce qu’il réclame. Avec le sourire, et des remerciements en prime. En venant le trouver à la Boîte Noire, il s’attendait à ce qu’Oxyde accepte de l’aider, peu importe ses réticences.

— Tu sais que tu fais chier ? râle ce dernier.

— Je ne t’oblige à rien.

— Non, bien sûr. Tu déboules l’air de rien avec entre les mains la possibilité de réparer une erreur que nous avons commise il y a dix ans, et tu crois que je me sentirais libre de refuser ? Arrête.

Soupir. En vrai, Edgar n’est pas venu seulement parce que cet esprit lui donnera du fil à retordre. Il est venu pour lui aussi. Pour eux deux.

— D’accord, cède Oxyde. Comment tu comptes gérer le diocèse ? Ils ne veulent plus de moi dans leurs pattes depuis des années, et je ne suis pas sûr qu’ils apprécieraient de me voir de nouveau.

— J’en fais mon affaire. Si tout cela venait à nous retomber dessus, j’en prendrai l’entière responsabilité.

— C’est risqué. Ils ont failli te virer du séminaire, la dernière fois…

Edgar hausse les épaules.

— Ils n’attendent que ça, lâche-t-il. Autant soigner sa sortie.

 

 

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