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Victoria

Les marcheurs de rêves possèdent, tous, le pouvoir des rêves, mais chacun et chacune l’utilisent d’une façon différente. Certains voient le futur dans leurs songes, d’autres le passé ; certains se faufilent dans les esprits des rêveurs pour les influencer – en bien ou en mal, ce qui, dans ce dernier cas, ne s’est presque jamais produit. D’autres, enfin, et ceux-ci sont peu nombreux, sont capables de traverser le voile qui sépare notre monde de mondes voisins.
Il en existe d’autres, bien plus rares. Les passeurs d’âmes qui accompagnent les mourants, ceux qui parviennent à façonner eux-mêmes leurs rêves – mais existent-ils vraiment ? –, les gardiens du monde du Vide, un anti-monde qui soutient tous les autres…
J’étais moi-même une marcheuse de rêves, gardienne du monde du Vide que l’on nomme Érèbe. Le secret le mieux gardé au monde, sans doute, car même si l’on en découvre l’existence, il est impossible d’y entrer sans y être invité.
Mais je n’étais pas seulement gardienne. J’étais aussi Oniromancienne, capable d’entrevoir le futur dans mes songes. Et ce futur, cet avenir qui se joue aujourd’hui même, alors que je suis à présent une vieille dame fatiguée dépourvue de pouvoir, je l’ai vu il y a longtemps. Et personne n’en a rien su.
Vous me reconnaîtrez peut-être, vous qui lirez cette lettre, vous qui serez les prochains gardiens. Érèbe efface les traces de ses protecteurs lorsque ces derniers disparaissent mais parfois, il en reste des vestiges, et je prie pour que mon message vous parvienne.
Il existe une tour quelque part dans les strates de ce monde. Une tour que j’ai bâtie, et dans laquelle j’ai conservé les souvenirs de précédents gardiens, comme celui que vous tenez entre vos mains. Retrouvez ma tour, ravivez ces souvenirs. Il y a là quelque chose, un présage peut-être, un futur que je n’ai pas eu le temps de décrypter. S’il vous plaît, faites-le à ma place. Reprenez mon ouvrage et résolvez le puzzle.
Veillez sur Érèbe, mais surtout, ne vous y perdez pas. Ne faites pas comme tous ceux qui ont arpenté le monde du Vide avant vous, ne vous égarez pas dans son labyrinthe : car il s’agit de votre esprit, et l’on n’en sort pas indemne lorsque l’on n’y retrouve pas son chemin.
Avec tout mon amour,
Victoria Charlotte St. John.

En découvrant la lettre, qui volait sur l’herbe, emportée par le vent, Saul n’a pas pris conscience tout de suite de son importance. Puis il a reconnu le nom de son aïeule, cette dame qui fait office de légende dans sa famille depuis tant d’années, et il n’a pas pu cesser d’y penser. Quand il se rendait à son boulot, quand il retrouvait sa petite amie, quand il rentrait chez lui.
Si bien qu’une nuit, alors qu’il se promenait en Érèbe, il s’est décidé à partir à la recherche de la tour de Victoria, et à reprendre le flambeau.