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Pierre noire d'Atlacoaya - 2

Les terres qui entouraient le désert d’Atlacoaya étaient rongées depuis des siècles par un étrange mal les privant de couleurs et de vie ; les roches, quant à elles, étaient gorgées de rêves et de souvenirs d’inconnus, alors on les vendit sur les marchés comme des trésors.
C’était le travail de Syrod avant que les reines n’interdisent ce commerce pour de bon ; le vieil homme, alors propriétaire d’une échoppe qui proposait des poteries et des ustensiles en bois, eut l’idée d’offrir aux visiteurs de la Cité des objets de décoration ou d’ornement qu’ils pourraient rapporter chez eux. Des souvenirs, en somme, pour attester à leurs connaissances qu’ils avaient franchi les portes d’Atlacoaya, qu’ils l’avaient arpentée. Les bijoux sertis de pierre noire eurent un succès imprévu.
Syrod les faisait fabriquer dans une forge non loin de son établissement ; comme il n’était pas bien riche – pas autant que certains négociants, comme les épiciers –, il choisissait au début les pierres les plus petites et de moins bonne qualité, mais fort de l’engouement toujours grandissant pour ses bijoux, il devint bien vite l’acheteur de roches le plus fidèle de son fournisseur. Colliers et bracelets étincelaient sur les rayonnages en bois de sa boutique, et n’y restaient pas bien longtemps. Les visiteurs et les habitants d’Atlacoaya se les arrachaient.
Lui-même n’éprouvait aucun intérêt envers ces cailloux que l’on disait magiques. La magie était illégale depuis des siècles, on la prenait pour responsable de l’invasion des terres mortes autour du désert – et dans le monde entier. Pourtant, au grand étonnement de tous, personne n’interdit l’exploitation des pierres noires. Il fit comme tout le monde, il en profita tant qu’il le put, sans jamais montrer de curiosité pour les trésors qu’il vendait.
Un soir, tandis qu’il rangeait sa marchandise en vue de fermer boutique pour la journée, Syrod ne se rendit pas compte qu’il avait gardé un des colliers dans sa poche. Il n’y prit pas garde quand il rentra chez lui, ni même lorsqu’il prit son dîner en compagnie de sa fille. Une fois dans sa chambre, alors qu’il s’apprêtait à se coucher, le vieil homme réalisa son erreur et posa le bijou près de ses vêtements afin de ne pas oublier de le rapporter dans son commerce le lendemain.
Mais la curiosité se fit plus forte, pour une fois, si bien qu’il récupéra le collier pour l’accrocher autour de son cou. L’on disait que le contact de la pierre sur la peau, pendant le sommeil, apportait des rêves et des souvenirs perdus, appartenant à d’autres… Ce fut l’occasion pour Syrod de découvrir si les rumeurs disaient vrai.
Il rêva de forêts, d’arbres bien verts, de plantes vivaces. De fleurs de toutes les couleurs, du parfum des roses et des pivoines, du chant des oiseaux. Une balade dans les bois, des bois morts depuis bien longtemps, des siècles peut-être. Les forêts n’existaient plus. Le désert et la Grande Colère avaient tout ravagé. Ce songe était si beau… Le vieil homme avait l’impression de le vivre pour de vrai ; il aurait pu croire que ce souvenir lui appartenait.
Lorsque Syrod ouvrit les yeux au matin, il ne put s’empêcher de pleurer.