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Le reve de Cornelius

Une de la gazette de Mahéra, édition du 3e jour des Écydes, 1446

Disparition de Maître Cornélius, le plus grand explorateur de notre époque

C’est un jour empli de tristesse : notre gouverneur, premier des Onze, vient d’annoncer la disparition officielle de Maître Cornélius, après un an sans nouvelles de sa part. Le célèbre explorateur était parti l’année dernière, le 2e jour des Écydes, à la découverte de la fameuse forêt d’Adria dont personne n’a jamais pu dire la situation exacte. La proclamation de la mort, survenant après une période légale d’un an, a eu lieu hier. A-t-il réalisé son rêve, celui de voir les mystérieux bois de ses propres yeux ?
Maître Cornélius, dont le véritable nom était Corneille Marade, était sans doute l’aventurier le plus connu de ces dernières décennies. Entré à quinze dans notre prestigieuse Académie, il s’est vite spécialisé dans la géologie et la géographie, avant de partir pour le désert rouge en compagnie de son père, Maître Asadus. Un voyage funeste : chacun se souvient du retour du fils, épuisé et blessé, et apportant la nouvelle de la mort d’Asadus. Cet incident malheureux n’a pas étouffé ses rêves d’explorations, bien au contraire.
Cornélius a passé plus d’années dans sa vie dans les territoires hostiles et inconnus de notre monde que dans notre bien-aimé royaume de Mahéra, en compagnie de son épouse Ysabeth, elle-même décédée il y a quelques années. Le voyageur aura mis au jour des contrées oubliées ou jamais découvertes, des vestiges de villes disparues, et l’incroyable lac souterrain de Portelune. Mais ce n’était rien face au mystère de la forêt d’Adria, sous-bois que l’on dit, tour à tour, magiques, hantés, se déplaçant seuls, ou n’existant tout simplement pas.
Maître Isarius a ouvert la voie il y a de cela vingt ans. Mais contrairement à Cornélius, il en est revenu, muet et décidé à ne jamais dévoiler ni l’emplacement de la forêt ni ce qu’elle recelait. Lorsque son estimé collègue a annoncé son départ, Isarius lui a laconiquement souhaité bonne chance, du moins en public. Qui sait ce que les deux scientifiques se sont dit ? Quoi qu’il en soit, Cornélius quittait Mahéra avec une certitude : s’il rentrait de son voyage, il ne révélerait pas la localisation d’Adria, il l’avait juré devant les Onze. Son serment est tenu, d’une certaine manière, puisqu’il semblerait qu’il n’en reviendra pas. S’agissait-il là d’une autre certitude, d’une volonté ? D’un rêve, peut-être ? Cornélius espérait-il entrer dans les bois et ne pas en ressortir, lui qui n’avait pas vraiment fait le deuil de sa femme ? Nous ne le saurons jamais. Reste à prier pour que son vœu se soit réalisé, et qu’Adria l’ait accueilli.
Le premier des Onze a annoncé, suite à la proclamation du décès de Maître Cornélius, que ce 3e jour des Écydes lui serait consacré.