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La Cite dans le sable

Atlacoaya est une cité que l’on entend. Mais on ne l’écoute pas, et à ce titre, elle ne parle plus, elle garde le silence depuis des siècles.

Perdue non loin de la frontière du désert, entourée de sable et de terre desséchée, elle brûle comme une pierre oubliée au soleil. C’est une cité-État immense établie il y a de cela un millénaire sur le plus grand carrefour marchand entre la zone du Froid et celle de la Nuit, au cœur de la région que l’on appelle l’Ancien Nord. À présent, les caravanes commerçantes ont disparu, parce qu’il n’existe plus aucune contrée accueillante nulle part ; un mal mystérieux ronge la planète, transforme ses terres et ses mers en champs de pierre noire stérile sur lesquels rien ne peut pousser. Et Atlacoaya, joyau fatigué et assoiffé planté au cœur du désert, demeure le dernier refuge qui existe.

La Cité-sans-roi n’en ressemble pas moins à un enfer, certains jours. Ses marchés géants, ouverts en permanence, attirent toujours plus de négociants et de visiteurs venus des quelques villes et villages résistants à la chaleur près du désert ; une joyeuse cohue, mélange de cris, de chants, d’interpellations en tout genre, de couleurs, de parfums divers, qui ne prend fin qu’au moment où le soleil se couche.

Dans les quartiers voisins, les maisons s’empilent les unes sur les autres, construites en dépit du manque de place et du bon sens. Ce sont des habitations en pierre rudimentaires, avec de simples ouvertures en guise de portes et quelques meubles bricolés avec les moyens du bord – bois, osier, carton fabriqué à la main, argile… Des familles entières s’entassent dans ces maisons minuscules. Ce qui n’entame en rien leur bonne humeur et leur volonté de faire tourner la ville comme si cette dernière était une mécanique ancienne menaçant de tomber en panne à tout moment : les rouages vieillis grincent, les pièces cassées ne pourront jamais être réparées, mais la machine poursuit son œuvre avec vaillance.

À chaque heure du jour ou de la nuit retentissent cloches et chants, dont le son monte jusqu’au ciel éternellement sans nuages comme pour interpeller des dieux qui ne répondront jamais. Il y a des centaines d’églises à Atlacoaya, des centaines de clochers, de minarets, de coupoles, et c’est pour cette raison qu’on l’appelle la cité aux mille temples.

Et la cité aux mille noms, aussi. Mille noms selon les langues, selon les régions, selon qu’on aime ou qu’on déteste cette ville erratique qui ne s’endort jamais vraiment, qui illumine le désert et tout le pays – ou du moins ce qu’il en reste – par son aura vibrante de vie et de magie.

Mais personne ne l’écoute. Alors elle se tait.