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[Tenet] Je pense que Nolan est un génie

J’interromps mon programme de webdesign sur Rue de Minuit (ça avance !) pour vous parler du truc qui m’obsède depuis quelques jours, à savoir mon visionnage de Tenet. Ça ne vous a pas échappé, le film semble entrer dans la catégorie ‘on aime ou on déteste’, en tout cas il ne laisse pas indifférent et à force d’y réfléchir, je crois bien que c’est l’œuvre la plus réussie de Christopher Nolan. Oui oui, vous avez bien lu, vous qui connaissez mon amour infini pour Inception (mon film favori de tous les temps) : Tenet est bien plus abouti, à mon avis, qu’Inception, et montre tout le génie dont Nolan est capable pour raconter une histoire.

Disclaimer : je ne suis pas une spécialiste du cinéma, la réalisation ça me passe au-dessus, je regarde mes films en VF, bref, je ne suis pas là pour vous parler du film en lui-même. Je parle ici en tant qu’écrivaine et en tant qu’amatrice d’histoires-puzzles (mais je ne suis pas une spécialiste non plus. Considérez ceci comme un avis très subjectif).

Spoilers : Tenet, Inception, Dark (saison 3)

Le temps est sans importance

Ça commence à se voir, Nolan parle du temps : Memento raconte à rebours l’histoire de son personnage principal amnésique, Inception montre le temps différencié selon les strates de rêves, et même figé dans le subconscient de son héros, Cobb (L. DiCaprio) (par l’entremise du souvenir de Mal (M. Cotillard)), Interstellar témoigne du temps qui s’écoule différemment en fonction de l’endroit où l’on se trouve dans l’espace. Mais je ne crois pas que ce soit le plus important ici. C’est à la lecture d’une interview du monsieur que ça m’a frappée :

Les gens qui connaissent mes films verront que je synthétise en un plan toute ma fascination pour le temps et pour la narration. — Christopher Nolan (dans Premiere)

La narration c’est aussi du temps. C’est un temps subjectif qui nous fait aller d’un point A à un point Z en passant par les points B, C, etc, que l’on peut remonter, décortiquer, éclater. Dans Tenet, Nolan joue autant avec le temps qu’avec la narration : il les démonte et les fait aller dans un sens ou dans l’autre, formant une boucle, ou un palindrome. C’est d’ailleurs tout le principe du film : l’histoire toute entière est un palindrome.

Le carré Sator et autres théories

Le mot Tenet fait partie de ce que l’on appelle le carré magique de Sator, un palindrome de 5 mots réunis sous la forme d’un carré dont on a des traces à Pompéi (tiens tiens). Je ne vais pas vous résumer le truc ici car Pauline Darley l’a fait parfaitement sur Twitter :

Avec les quelques rares informations que le film nous donne, notamment à la fin (le Protagoniste (J.D. Washington) est à l’origine même de l’organisation Tenet, le voyage dans le temps semble monnaie courante dans le futur, le Protagoniste a appris ce qu’il sait à Neil (R. Pattinson) dans le futur, etc), l’on doit nous-mêmes raccrocher les wagons et imaginer le background passé et futur avec toutes les lacunes que cela comporte.

Ce qui amène le spectateur à élaborer ses théories (le petit plaisir de Nolan à mon avis), dont voici les principales qui circulent sur les réseaux sociaux :

  • Laura (C. Poésy) serait la scientifique qui a créé l’Algorithme capable de désosser le temps et donc de nous dézinguer ;
  • Il est dit que ce même Algorithme a été séparé en plusieurs morceaux dans le passé afin d’éviter d’être reconstitué. Et s’il s’agissait de la scène de fin, quand le Protagoniste, Neil et Ives (A.T. Johnson) se répartissent les pièces ?
  • Max (L. Shepherd), l’enfant de Kat (E. Debicki), serait en réalité Neil : les caractéristiques physiques sont semblables, cela colle avec de nombreuses informations que Neil semble détenir, et on peut imaginer que le Protagoniste le prend sous son aile juste après la fin du film.

Cette dernière théorie est la plus intéressante à mes yeux, parce qu’elle est somme toute assez évidente et étayée tout au long du film : le symbole du fil rouge est à mon avis très révélateur, tout comme la ressemblance physique entre les deux personnages et l’attachement que le Protagoniste a pour Neil ET pour Kat. Des fans ont spéculé sur le vrai prénom de Max, qui pourrait être un diminutif de Maximilien, (pas surprenant, alors, que beaucoup de spectateur·ices ont pointé que Neil à l’envers donnait lien) ; aussi,  Max Planck et Niels Bohr faisaient partie des physiciens fondateurs de la physique quantique fin XIXe siècle.

Un autre élément qui me plaît beaucoup à la lecture du thread sur Twitter partagé un peu plus haut, c’est que la lettre N se trouve au centre du carré Sator et est en soi la plus importante de la structure. Or, Neil est le personnage central du film, bien plus que le Protagoniste (en dépit de la manière dont on le désigne). C’est lui le centre de la tenaille temporelle, et c’est lui qu’il faut protéger pour que cette boucle subsiste ;  c’est aussi lui qui doit mourir pour qu’elle se poursuive.

Le Protagoniste et l’Origine

On a beaucoup reproché au film sa froideur, au-delà de sa photographie (que personnellement j’adore) : les personnages n’ont pas vraiment de vécu, on peine à s’y attacher ou à comprendre leurs motivations (alors, oui, Kat veut être libre et récupérer son fils, soit. Voilà le défaut perpétuel des films de Nolan : son traitement des personnages féminins. Elles sont absentes, ou mauvaises, ou réduites à leur fonction de mère, ce qui m’agace toujours mais j’arrive plus ou moins à m’en foutre maintenant). Si Kat est touchante, ou Sator (K. Branagh) donne envie qu’on abrège ses souffrances en lui collant une balle dans la tête, ou Neil immensément sympathique (franchement je le kiffe), le héros, lui, n’a pas d’identité. Il apparaît presque utilitaire, une impression appuyée par le titre qu’on lui donne, celui de Protagoniste. Mais je trouve ça logique. Attendez, vous allez voir.

Il me semble que c’est Priya (D. Kapadia) qui le dit (il me faudrait un second visionnage du film car certains détails restent flous) : son but est de combler les failles temporelles afin que le cours du temps demeure inchangé. La boucle elle-même est utilitaire, elle s’auto-génère. Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Moi, ça m’a rappelé la 3e saison de Dark, en particulier l’Origine (H. & J. Diehl, C.A Heinreich). Le fils de Jonas (L. Hofmann) et de Martha (L. Vicari), que l’on voit en trois exemplaires, n’a aucun nom car il n’a qu’une utilité : permettre au cycle de se répéter, et donc à sa famille d’exister, et donc à lui-même d’exister. Il comble les brèches, comme le fait aussi l’équipe d’Eva (B. Nüsse) dans le monde parallèle.

La saison 3 de Dark m’a beaucoup plu dans le sens où elle n’en avait pas, de sens. Quand on découvre que les deux mondes que nous suivons bouclent sans fin et qu’ils ne devraient pas exister, le reste n’a plus vraiment d’importance (c’est certes nihiliste mais faut croire que j’ai un penchant pour ça). J’ai ressenti la même chose dans Tenet, en particulier avec le Protagoniste, ce qui m’a étrangement contentée au lieu de me déplaire : c’est logique. Ça l’est d’autant plus si le film raconte le moment ‘N’ du palindrome, un instant T comme si nous le vivions nous-mêmes dans la vraie vie.

Et donc ?

Bien, maintenant que je vous ai déroulé toutes ces théories pour me la péter, oubliez-les. Je ne pense pas que ce soit important, et c’est là le génie de Nolan à mon sens.

Vous vous souvenez comment on s’écharpait pour savoir si la toupie tourne ou tombe à la fin d’Inception ? Nolan a toujours dit que ce n’était pas important, que le plus important était que Cobb avait retrouvé ses enfants et qu’on se fichait de savoir si ça se passait dans un rêve ou dans la réalité. C’était à chacun & chacune de décider.

À mon avis, tous les éléments non-dits dans Tenet ne sont rien d’autre que des toupies.

Et alors que nous avions le rêve dans un rêve dans Inception, nous avons ici l’histoire dans l’histoire. Sans doute, oui, Max est Neil ; plus précisément, Nolan a fait en sorte que nous pensions que Max est Neil. Et c’est tout ce qui compte. C’est à nous d’inventer l’histoire qui englobe le film, qui lui ne nous montre que le centre du palindrome, le N du carré Sator. Le reste nous appartient, d’une certaine manière.

 

Bref, voilà ma petite théorie :) Si Inception reste mon film favori (parce qu’il évoque des thèmes que j’aime et que je traite moi-même dans mes romans), Tenet m’apparaît un cran au-dessus dans sa construction labyrinthique, dans son concept de fou et dans son sous-texte absolument gigantesque. J’ai vraiment hâte de le regarder une seconde fois pour voir si ma théorie se tient. Et j’ai encore plus hâte de voir ce que Nolan va nous inventer dans la même veine — mais là il va falloir attendre 10 ans !

Quelques liens qui m’ont aidée :

Pour finir : le concept d’histoire dans l’histoire a été mis en œuvre dans S., le livre co-écrit par Doug Dorst et J.J. Abrams que je vous conseille vivement de lire (si vous avez l’occasion de le trouver).